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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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s’ils avaient pris leur parti de marcher, courbés sous le poids qui les écrasait, jusqu’à la consommation des siècles. Personne ne s’attardait, car il était évident que, si les Américains approchaient du pont avant que le peloton fût parvenu à sa destination finale, ils offriraient tous, malgré la distance, de superbes cibles aux poursuivants.
    Christian s’arrêta, écoutant sa propre respiration, et se retourna vers la vallée. Le pont était petit, paisible, insignifiant dans la poussière tourbillonnante de la route. Il n’y avait aucun mouvement nulle part, et la vallée semblait étrangement déserte, perdue, abandonnée à jamais par les hommes.
    Christian sourit lorsqu’il vit qu’il ne s’était pas trompé sur la valeur stratégique de l’éboulis. Il apercevait, entre deux collines, à une certaine distance du pont, une section suffisante du chemin. Les Américains devraient traverser cette section avant de disparaître momentanément derrière l’ergot rocheux qu’il leur faudrait contourner pour arriver en vue de la passerelle.
    –  Heims, Richter, dit Christian, vous allez rester avec moi. Tous les autres vont continuer à se replier avec le caporal.
    Il se tourna vers le caporal, dont le visage était, à présent, celui d’un homme qui s’attend toujours à être tué, mais voit reculer le moment de son exécution.
    –  Dites au capitaine, conclut Christian, que nous arriverons aussitôt que possible.
    –  Oui, sergent, dit le caporal d’un ton plein d’allégresse.
    Il se mit à trotter, plutôt qu’à marcher, vers la sécurité bénie du virage suivant. Christian regarda le peloton s’engager lentement sur ses traces. La route était haute, au flanc de la colline. Les hommes se découpaient contre le fond bleu du ciel, contre les lambeaux de nuages blancs, et lorsqu’ils tournaient, un par un, vers le monticule, ils avaient l’air de pénétrer dans l’espace bleu que fouillait la brise.
    Heims et Richter étaient les deux membres d’une équipe de mitrailleurs. Ils étaient adossés aux blocs rocheux. Heims tenait la mitrailleuse et une caisse de munitions ; Richter suait sous le poids du trépied. C’étaient des types qui avaient fait leurs preuves, et pourtant, en regardant leurs visages ruisselants de sueur, Christian regretta, soudain, de n’avoir pas avec lui les hommes de son vieux peloton, ceux qui étaient morts, là-bas, dans le désert d’Afrique. Il y avait longtemps qu’il n’avait pas pensé à eux, mais le spectacle des deux mitrailleurs restés avec lui, sur cette colline, lui avait rappelé ce moment où, au flanc d’une autre colline, trente-six hommes avaient docilement creusé leurs tombes.
    Et Christian sentait, confusément, – qu’Heims et Richter ne feraient jamais leur travail aussi bien que ces hommes-là. Ils appartenaient, par quelque perte subtile et insensible de qualité, à une autre armée, dont la jeunesse avait fui, à une armée qui, malgré toute son expérience, paraissait être devenue partiellement civile et moins ardente à mourir. « Si je les laissais seuls maintenant, pensa Christian, ils ne resteraient pas longtemps à leur poste. » Il secoua la tête. « Ah, pensa-t-il avec lassitude, je commence à déraisonner, ils sont probablement très bien. Et Dieu sait ce qu’ils pensent de moi, en ce moment ! »
    Adossés au rocher, las et étendus, les deux hommes observaient Christian d’un œil éteint, comme pour tenter de découvrir s’il allait leur demander de mourir ce matin.
    –  Ici, dit Christian.
    Il désigna une surface plate, entre deux blocs dont la jonction affectait grossièrement la forme d’un V. Lentement, mais adroitement, les deux hommes montèrent la mitrailleuse.
    Lorsque tout fut en place, Christian s’accroupit, la repoussa un peu vers la droite et visa la vallée. Il ajusta le guidon de visée, en tenant compte de la distance et du fait qu’ils tireraient de haut en bas. Au pied des collines, sur la ligne horizontale du guidon de visée, le pont gisait dans des alternances d’ombre et de lumière, que produisait, en face du soleil, le lent défilé des nuages.
    –  Donnez-leur toutes les chances possibles de s’amasser près du pont, dit Christian. Ils ne le traverseront pas si vite, parce qu’ils se douteront bien qu’il est miné. Lorsque je vous donnerai le signal de commencer le feu, visez les hommes qui se trouveront à l’arrière. C’est compris ?
    – 

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