Le Baptême de Judas
l’émotion.
Elle se dégagea de mon étreinte et se redressa.
— Que dis-tu là ?
— Tu dois partir, répétai-je, incapable de soutenir son regard. Je ne suis pas autorisé à t’expliquer pourquoi, mais ma vie ne m’appartient pas. Je devrai passer le reste de mes jours ici et je ne t’imposerai pas de le faire avec moi.
— Et si c’était ce que je souhaite ? demanda-t-elle, les yeux remplis de larmes. Depuis mon enfance, je suis impliquée dans la même histoire que toi. Elle m’a même coûté un enfant. Si ce n’est qu’une question de secret, initie-moi dans ta maudite confrérie et nous le porterons ensemble.
Je hochai lentement la tête, la tristesse me submergeant, mais bien décidé à aller jusqu’au bout.
— Tu as droit à une vie normale, Cécile. Avec moi, tu en seras privée. Je ne serai jamais entièrement libre. Dieu seul sait ce que je devrai encore faire pour poursuivre ma mission. Et je. je ne sais pas être heureux. Je n’ai jamais su. Tu seras bien mieux avec le comte de Comminges qu’avec moi. Tu auras des enfants, des terres, de belles robes, une cour. Ces choses, je ne peux pas te les offrir.
Ses lèvres se mirent à trembler et je sentis mon cœur se briser.
— Je ne désire rien de tout cela, Gondemar, gémit-elle en sanglotant piteusement, comme un animal blessé. Je ne veux que. nous. Toi et moi, ensemble. Nous ne faisons qu’un, tu le sais comme moi.
— Depuis mon premier souffle, je n’apporte que le malheur et la mort à ceux que j’aime, dis-je aussi doucement que je le pouvais. J’ai déjà assez gâché ta vie.
Elle me prit le visage à deux mains et riva ses yeux dans les miens.
— La première fois que nous nous sommes aimés, tu m’as dit que tu étais à moi. Tu te souviens ?
— Oui.
— Mentais-tu ?
— Non. Je suis à toi. Je le serai jusqu’à ma mort. Mais cela ne signifie pas que nous vivrons ensemble. Je le réalise maintenant.
Cécile hocha tristement la tête, acceptant l’inévitable. Elle se blottit contre moi et nous restâmes ainsi aussi longtemps que nous le pûmes, sans ajouter le moindre mot.
Le jour même, Cécile partait avec son frère. Je n’allai pas leur dire adieu. J’en étais incapable. Je trouvai un peu de réconfort dans le fait que je me condamnais à vivre sans amour pour que celle que j’aimais puisse être heureuse.
Nous étions le quatorzième jour de juin de l’an 1212. Je restais dans la montagne, condamné à veiller comme Norbert l’avait fait avant moi. Le reste de ma vie venait de commencer et tout espoir de bonheur s’était évanoui.
1
Après la bataille.
Épilogue
Malgré le besoin viscéral qui m’a rongé toute ma vie, je me suis fait violence et je n’ai jamais revu Cécile de Foix. Je ne saurais dire combien de lettres je lui ai écrites pour finir par les regarder se consumer dans la cheminée de la grande salle. Chaque jour que Dieu m’a donné, j’ai pensé à elle, j’ai regretté sa présence, j’ai voulu entendre sa voix, j’ai désiré son corps. J’ai souvent pleuré, moi qui ne connaissais presque pas les larmes. J’ai ragé. J’ai frappé les murs du seul poing qui me reste. J’ai maudit mon existence. Mais je n’ai pas cédé. Tout au plus me suis-je assuré de tout savoir de sa vie, grâce aux bons offices de Payraud et de ses hommes, qui me ramenaient des nouvelles glanées au cours de leurs sorties. L’amour de ma vie est devenu la femme de Bernard V, comte de Comminges. Peut-être pensait-elle un peu à nous pendant les épousailles. Une part de moi l’espérait, l’autre souhaitait le contraire. Elle lui a donné un fils qui a, je suppose, atténué un peu le souvenir de notre enfant. Je me refuse à l’imaginer en train de le concevoir, même si j’ai tourné le dos à ce privilège. On la dit heureuse. Sans m’estimer plus que je ne le devrais, je sais qu’après tant d’années, comme moi, elle ne l’est pas entièrement. Mais elle l’est plus que je ne le suis et c’est déjà beaucoup. Même aujourd’hui, à l’hiver de ma vie, je la désire toujours. Elle est vieille, elle aussi. Nous pourrions finir nos jours ensemble, blottis l’un contre l’autre devant le feu. Les mots seraient superflus. Notre bonheur serait simple et entier. Mais cela, je l’ai rejeté. Si les cathares ont raison, peut-être nous retrouverons-nous dans une autre vie. Je m’accroche à ce mince
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