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Le Baptême de Judas

Le Baptême de Judas

Titel: Le Baptême de Judas Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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celle de l’impuissance. Je ne saurais dire laquelle des deux est la pire.
    Du haut de mon repaire, j’ai dû assister, tel un sinistre corbeau, à des décennies d’horreur. J’ai laissé mourir des milliers d’hommes de valeur et d’innocents sans pouvoir intervenir. Car les revers infligés par les Foix n’ont pas suffi à arrêter Montfort. Comme Pedro II d’Aragon avait conclu une alliance contre lui avec Toulouse et les seigneurs des Pyrénées, il a écrasé son armée à Muret en 1213. Il a pris soin de faire assassiner le roi par trois de ses hommes, éliminant ainsi le principal obstacle à ses ambitions. Puis il a conquis l’Agenais, le Périgord sud et le Rouergue. Comme il l’avait prédit devant moi, à Carcassonne, il a fini par posséder plus de terres que le roi de France. Je ne saurais dire combien de fois j’ai brûlé du désir de quitter ma cachette pour aller le combattre. Mais ma place était ici, auprès de la Vérité, pas sur les champs de bataille.
    La mort est la seule justice qu’il y ait sur cette Terre. Devant elle, les plus grands seigneurs et les plus modestes paysans sont égaux. À défaut de pouvoir encore la donner moi-même, j’ai trouvé une certaine satisfaction dans le fait que Simon de Montfort n’y a pas échappé. Roger Bernard a même eu la chance d’assister à l’événement et m’en a fait parvenir une description détaillée que j’ai lue et relue sans que jamais mon plaisir ne faiblisse. Le bourreau du Sud est mort bêtement en l’an 1218, la tête réduite en bouillie et la face à moitié arrachée par une pierre lancée d’une de ses propres catapultes, alors qu’il assiégeait de nouveau Toulouse. Au bout du compte, une fin bien peu glorieuse pour un homme qui se voyait si grand.
    Mais même dans la mort, le bougre avait une haute opinion de lui-même. Selon ses dernières volontés, sa vile carcasse a été mise à bouillir jusqu’à ce que la chair s’en détache et ses os ont été déposés dans la cathédrale Saint-Nazaire, à Carcassonne. Si, en massacrant et en répandant le sang, en brûlant les faibles et les sans défense, en pillant les pauvres, en s’appropriant le bien d’autrui, en violant les femmes et en égorgeant les enfants, on peut vraiment trouver le salut, alors Simon, seigneur de Montfort-l’Amaury, comte de Leicester, vicomte d’Albi, de Béziers et de Carcassonne, porte maintenant l’auréole des saints et resplendit dans le ciel, à la droite de Dieu. Mais quelque chose me dit qu’en ce moment même il est plutôt assis seul dans une immensité glacée, à pleurer toutes les larmes de son corps. Peut-être même Métatron consent-il à venir le tourmenter de temps en temps. En tout cas, je l’espère.
    Le trépas de Montfort n’a pas été le seul à me donner satisfaction. Le reste de sa racaille y est passé aussi. La disparition du méprisable Guy m’a beaucoup réjoui, d’autant plus que Simon, usant sans doute de toute son autorité, l’avait marié à Pétronille de Comminges, la sœur du mari de Cécile. Par une cruelle ironie, l’amour de ma vie se retrouvait belle-sœur d’un Montfort. Devenu comte de Bigorre, le petit enculé a été tué lors du siège de Castelnaudary en 1220. Innocent III, lui, est mort en 1216, au faîte de sa gloire et heureux d’avoir détruit la Vérité. Six ans plus tard, Raymond VI de Toulouse, ce méprisable filou qui s’est vendu au plus offrant plus souvent qu’une vieille putain, a suivi le pape en enfer. Il a rendu l’âme, pour peu qu’il en ait eu une, frappé par un coup de chaleur. Il avait passé la matinée sur le parvis d’une église à Carcassonne, à écouter une messe à laquelle une autre excommunication l’empêchait d’assister. Arnaud Amaury, pour sa part, est mort en 1225, sûr de la justesse de sa cause. J’ignore si Dieu l’a reconnu comme un des siens, mais si Satan existe, il n’aura certes eu aucune hésitation.
    Chose inévitable, les gens de bien ont aussi quitté ce monde, à commencer par dame Esclarmonde de Foix. À l’instar de son neveu, elle avait souhaité partager les misères des cathares, comme elle l’avait toujours fait. Je le lui ai permis, même en sachant qu’elle s’exposerait à tous les dangers. Je n’avais pas le droit de refuser. Elle ne craignait plus la mort depuis longtemps. Elle l’a trouvée en 1215, victime d’une maladie dont elle essayait de guérir les autres. Son frère, Raymond Roger V de

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