Le Baptême de Judas
un tissu par je ne sais quelle sorcellerie. Les traces de sang et la posture du corps constituaient la preuve irréfutable qu’il était vivant lorsqu’on l’avait descendu de la croix. Ce simple linceul millénaire avait le pouvoir de détruire l’Église.
Euphorique, j’étais remonté à la surface. Tu devras protéger la Vérité et l’empêcher d’être détruite par ses ennemis jusqu’au moment où l’humanité sera prête à la recevoir, avait déclaré Métatron. La réussite était enfin à ma portée et, avec elle, le salut de mon âme. Il ne me resterait qu’à réunir les deux parts et à assurer leur sécurité, ma mission serait alors remplie. Mon chemin de croix touchait à sa fin.
Mais Dieu était affreusement cruel et il s’était joué de moi. Les Neuf s’étaient avérés être des imposteurs à la solde de Simon de Montfort. Ils avaient patiemment attendu que j’accomplisse leur tâche. Pire : ils ne s’étaient pas contentés de me voler le linceul ; ils m’avaient contraint à leur livrer la totalité de la Vérité. En quelques secondes, j’étais passé de vainqueur à vaincu ; de Magister à Judas.
Sous bonne garde, les fers aux poignets comme le dernier des gredins, je me dirigeais maintenant vers Carcassonne, là où ma douce Cécile était gardée en otage. Pour la sauver, ainsi que Pernelle et Ugolin, je devrais livrer la première part de la Vérité au chef des croisés. Je le ferais sans regret, pleinement conscient des conséquences de ma décision. Parce que j’en avais assez de semer la mort autour de moi. Assez de voir ceux que j’aimais payer pour le sort qui n’aurait dû être que le mien. Mais pardessus tout, parce que Cécile portait en elle le fruit de notre amour. C’était, en tout cas, ce qu’affirmait Montfort dans la note qui m’avait été présentée par Alain de Pierrepont, accompagnée d’une mèche de ses cheveux blonds et d’une bague à nulle autre pareille, héritée de sa tante Esclarmonde. Je n’avais aucune preuve que ma tendre amie était grosse. Il pouvait s’agir d’une ruse pour m’attirer, mais pouvais-je courir le risque de ne pas y croire ?
En quittant Toulouse, j’avais sacrifié l’amour sur l’autel de mon salut. Quoi que je fasse, je mourrais de toute façon. Jamais Montfort ne me laisserait vivre. J’en avais la certitude. Ses hommes détenaient déjà la seconde part et il savait que la première se trouvait dans son sanctuaire, à Montségur. Le fait d’utiliser le Magister des Neuf pour la récupérer lui faciliterait les choses. Tôt ou tard, son triomphe serait entier.
La seule victoire que je pouvais encore espérer était la survie de ceux que j’aimais. Pour cela, je n’avais d’autre choix que de me fier à la parole d’une chiure qui avait maintes fois prouvé qu’il n’en avait aucune. Et si un enfant restait derrière moi, j’aurais au moins la satisfaction de déjouer un peu les plans de Dieu. Une vie toute neuve, issue des génitoires d’un damné. C’était le seul souvenir que je laisserais. L’unique trace d’un passage raté sur cette Terre.
Une fois à Carcassonne, je devrais subir l’humiliation de voir Pierrepont remettre à son maître la seconde part qui aurait dû être mienne. Je n’avais aucune peine à imaginer le plaisir que cela lui procurerait. Je pouvais déjà voir l’air comblé et suffisant qui illuminerait le visage du boucher du Sud. L’unique lumière dans ma nuit était que je reverrais Cécile. Avec un peu de chance, je pourrais la tenir un moment dans mes bras. Pour une dernière fois.
Ma coupe d’amertume bue jusqu’à la lie, je partirais pour Montségur. Mon chemin de Damas ne me mènerait pas vers la rédemption, mais plutôt vers le déshonneur. Car, une fois sur place, je trahirais les Neuf qui avaient fait de moi leur Magister. Je foulerais aux pieds le serment que j’avais prêté sur ma vie. Moi, Gondemar de Rossal, je promets et je jure de garder les secrets de ¡’Ordre des Neuf. Je m’engage à ne les point révéler et à empêcher tout frère ou sœur de le faire, y compris son Magister, s’il est en mon pouvoir de l’en empêcher, et en le tuant s’il le faut. Je m’engage en outre à les défendre au prix de ma vie, à leur consacrer mon existence entière et à les emporter dans la tombe. Je jure enfin d’obéir en tout au Magister de l’Ordre sans jamais contester les ordres donnés sous l’abacus... Tout cela, je devrais
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