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Le Baptême de Judas

Le Baptême de Judas

Titel: Le Baptême de Judas Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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trois autres villageois l’entourèrent. Je poursuivis mon chemin en souhaitant de toutes mes forces qu’il ne retrouve pas ses esprits avant que Pernelle soit passée. S’il fallait qu’elle l’aperçoive, je ne pourrais plus intervenir.
    —    Qu’est-ce qui te prend ? s’enquit un des soldats qui m’accompagnait. Pourquoi as-tu frappé ce garçon ?
    —    Je déteste les mendiants, mentis-je en me renfrognant pour ne pas encourager un long échange. Et depuis quand un croisé a-t-il des scrupules ? Ne descends-tu pas toi-même dans le Sud pour tuer et violer ? Qui es-tu pour me juger ?
    Ainsi rabroué, le soldat se tut et je retins un soupir de soulagement. Je ne voulais surtout pas attirer l’attention et, à part lui, personne ne semblait s’être intéressé à mon geste. Lorsque je fus un peu plus loin, je me retournai et mes tripes se serrèrent dans mon ventre. Pernelle et Ugolin arrivaient à la hauteur d’Odon. Je la vis regarder les villageois qui entouraient toujours le pauvre garçon sonné. Elle se tourna vers le Minervois et lui désigna l’attroupement de la tête. Pernelle soignait. C’était sa nature, et tout son être lui criait de s’arrêter et d’aller voir si elle pouvait aider. Pour toute réponse, Ugolin haussa les épaules, visiblement indifférent. Le convoi continua de progresser, et bientôt elle se trouva trop loin. Elle était passée sans avoir reconnu Odon.
    J’avais retenu mon souffle tout ce temps. Je laissai échapper un soupir et fermai les yeux. Personne ne le saurait jamais, mais je venais sans doute de sauver une vie et il n’en coûterait qu’une mâchoire douloureuse.
    Il fallut plus d’une semaine à Ugolin pour trouver le moyen de me révéler la portée de ma trahison. Le convoi s’était installé dans un champ pour la nuit. Les soldats vaquaient à abreuver les chevaux et à allumer des feux avant de se reposer. Pour s’assurer que je ne ferais pas faux bond à mes ennemis, on m’avait assis sous un arbre. On avait ensuite passé une corde dans la chaîne de mes fers avant de l’attacher au tronc. Je disposais d’un peu de liberté de mouvement, mais pas assez pour me lever. Après quelques heures, Lambert de Thury en personne m’apporta du pain et un peu de vin.
    — Mange, m’ordonna-t-il avec un sourire narquois.
    Abattu, je me contentai de poser sur lui un regard morne qui finit par l’ennuyer suffisamment pour qu’il s’en aille. Rapporter la première part de Montségur serait en soi difficile. Je n’y parviendrais pas si j’étais famélique. Je mangeai donc en observant les environs sans grand intérêt.
    À quelque distance de moi, près d’un feu, se trouvaient Ugolin et Pernelle. On les maintenait assez loin pour éviter tout contact entre nous. Côte à côte, ils étaient silencieux et semblaient amorphes. Ni l’un ni l’autre n’avaient touché le repas qui avait été posé devant eux. Je savais bien que la déception leur avait coupé l’appétit. Comme moi, le géant était menotté. Pernelle ne représentant aucune menace, on l’avait laissée libre. Pendant que je les observais, un soldat s’approcha d’elle, son coffre de médicaments sous le bras, et, d’un signe de la tête, lui intima de le suivre. Elle obéit sans rechigner. Je la vis bientôt s’accroupir près d’un homme dont elle examina le pied blessé avant d’y appliquer un onguent puis un pansement. Fidèle à son sacerdoce, elle soignait indistinctement amis et ennemis, toute vie étant sacrée à ses yeux. Lorsqu’elle eut fini, elle fut reconduite à sa place et se rassit sans rien dire. Ugolin lui posa délicatement l’une de ses grosses pattes sur l’épaule et lui murmura quelque chose à l’oreille. Des mots d’encouragement, sans doute. J’éprouvai un peu de soulagement à l’idée qu’après mon départ, mon amie d’enfance resterait sous la protection du géant de Minerve. Personne ne la défendrait mieux que lui.
    Soudain, comme s’il avait senti le poids de mon regard, le Minervois se retourna. Pour la première fois depuis notre première rencontre, lorsque Landric m’avait contraint à l’affronter dans un combat singulier, aucun sourire n’éclaira son visage lorsque nos yeux se croisèrent. Tout dans son attitude n’était que mépris. Il soutint longtemps mon regard, puis cracha rageusement sur le sol avant de se retourner, une moue dégoûtée sur les lèvres.
    Pernelle m’avait aperçu, elle aussi.

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