Le Baptême de Judas
un nouveau cycle de récoltes s’amorcerait. Apparemment, Rossal s’était remis de la disparition de Gerbaut et ses habitants n’étaient pas en désarroi. La vie continuait, avec ses hauts et ses bas. La scène m’emplit d’une grande nostalgie.
Une lieue 4 après Rossal, des paroles au ton acerbe montèrent à l’avant du convoi. Intrigué, j’étirai le cou et tendis l’oreille, mais j’étais trop loin de Pierrepont pour en saisir la teneur. Toutefois, après un moment de chevauchée, l’explication se présenta à moi. J’aperçus un groupe de paysans qui s’étaient rangés sur le côté de la route, la tête basse et l’air servile. De toute évidence, le simple fait de se trouver là leur avait valu une volée de bois vert et ils avaient reçu l’ordre de céder le passage. Ils le firent avec soumission. Des lapins et des oiseaux attachés à une courroie de cuir passée sur l’épaule, ils ramenaient au village le fruit d’une bonne chasse. Pour les prochains jours, ils mangeraient à leur faim.
Dans le groupe d’une dizaine d’hommes, j’en remarquai un, plus petit que les autres. Contrairement à ses compagnons, ses grands yeux noirs et perçants n’étaient pas baissés. Il toisait plutôt les cavaliers qui défilaient devant lui avec un air insoumis et défiant que j’aurais reconnu entre mille : c’était celui de sa mère.
En reconnaissant Odon, je sentis mon cœur se mettre à battre un peu plus vite. Cet enfant, j’avais d’abord cru l’avoir brûlé vif. Puis je l’avais retrouvé vivant et presque homme. Le revoir bien portant me fit grand plaisir. Il avait pris du poids et ne flottait plus dans ses vêtements. Ses cheveux noirs n’étaient plus plaqués sur son front et sa nuque par la fièvre. Sous ses yeux, les cernes avaient disparu et son visage montrait de saines couleurs. Ses épaules arboraient même une nouvelle rondeur et du muscle s’était ajouté sur une charpente qui annonçait l’homme qu’il serait bientôt. Les soins de sa mère lui avaient sauvé la vie. Trois mois plus tard, alors qu’il avait frôlé la mort de si près, il chassait et se tenait droit comme un chêne.
Je me retournai vers Pernelle, plus loin dans le convoi, et tentai d’attirer son attention, mais ni elle, ni Ugolin ne me regarda. Odon ne devait pas nous reconnaître. Certes, pour lui, Pernelle n’était qu’une guérisseuse douée et compatissante qui l’avait soigné alors qu’il se crachait les poumons et je n’étais qu’un croisé parmi tant d’autres. S’il nous reconnaissait, se précipiterait-il vers la bienfaitrice qu’il avait invitée à demeurer près de lui ? Comment réagirait-il en constatant que c’était en prisonnière qu’elle redescendait vers le Sud ? Hurlerait-il à l’injustice ? Invoquerait-il ce qu’elle avait fait pour lui pour ensuite réclamer sa libération ?
Pierrepont ignorait le lien qui unissait Pernelle et Odon, et les choses devaient demeurer ainsi. L’homme n’était pas naïf. Il s’emparerait du garçon et l’utiliserait comme levier pour contraindre Pernelle à collaborer. Si jamais je tentais de sauver la Vérité, Montfort pourrait forcer mon amie à lui livrer la première part. J’avais beau avoir une entière confiance en elle et connaître son mépris pour la chair, je savais aussi que son seul point faible était la vie de l’enfant qu’elle avait retrouvé. Jamais elle n’accepterait de le perdre à nouveau, et encore moins d’être la cause de sa mort. Elle donnerait n’importe quoi pour le garder en vie, même s’il lui fallait trahir le serment des Neuf. Je devais empêcher coûte que coûte que la mère et le fils se voient. Il en allait peut-être de leur vie.
Lorsque je parvins à sa hauteur, je tournai la face de l’autre côté, espérant passer inaperçu. Peine perdue.
— Sire Gontier, m’interpella-t-il joyeusement en utilisant le nom que j’avais prétendu porter lors de mon passage à Rossal.
Lorsque je regardai dans sa direction du coin de l’œil, Odon me dévisageait, un large sourire éclairant son visage. Puis il avisa mes chaînes et je pus lire la confusion dans ses yeux. Il avança vers moi. Je fis la seule chose que je pouvais faire afin d’éviter la catastrophe. Dès qu’il fut assez près, je lui remontai violemment le pied sous le menton. Sa tête se renversa vers l’arrière et ses yeux devinrent vitreux. Il s’écroula au sol, à demi assommé. Aussitôt, deux ou
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