Le Brasier de Justice

cuir noir. Une clef tournoyait au bout.
    — Debout, debout ! insista l’exécuteur. Je me remplis les poches et te laisse à tes rêves.
    Au regard à la fois paniqué et meurtrier de l’autre, Hardouin comprit qu’il avait vu juste. L’homme émit une sorte de grondement de gorge en hochant la tête en signe de refus.
    — Je possède nombre de vertus, hormis la patience, murmura cadet-Venelle.
    La dague s’enfonça brutalement d’un demi-pouce dans le gras du cou de taureau, arrachant un hurlement étouffé à Desprès. Un filet de sang rouge sombre dévala.
    — Que préfères-tu ? Je te navre sitôt et m’empare de la clef ou alors tu daignes m’offrir les honneurs de la visite. En voleur qui se respecte, je te plume et tu ne me revois plus. À toi de choisir, fais vite. Peu me chaut ce que tu dissimules avec tant d’âpreté si je ne puis le monnayer.
    Un nouveau mouvement de refus. Hardouin resserra encore le lien et la pointe de son arme s’enfonça lentement dans l’épaule gauche du premier lieutenant en tournant afin de faire le plus mal possible. Ce dernier tenta de rugir mais le caleçon le suffoquait. Il ouvrit grande la bouche, tel un poisson hors de l’eau. La sueur inondait son visage carré, en dépit du froid qui régnait dans la pièce.
    — Ta face bleuit vilainement, commenta cadet-Venelle d’un ton un peu ennuyé. Tu vas périr asphyxié. Dépêche-toi, l’homme. Je n’ai pas qu’un bon client à visiter cette nuit.
    La dernière phrase parut décider Maurice Desprès, qui approuva d’un léger hochement de tête. Hardouin relâcha un peu la tension du caleçon.
    — N’oublie pas, le mit en garde le bourreau en plaquant sa lame contre le cou épais. Pas de geste brusque, maintenant que je sais où est la clef… un faux mouvement est si vite arrivé. Or, je ne te veux point de mal. Prends donc l’esconce, tu en enflammeras le flambeau que j’ai vu plus tôt.
    Sur ses gardes, prêt à navrer Desprès au moindre geste menaçant de sa part, Hardouin le poussa vers les marches de pierre.
    1 - De cuir. A donné « curée ».

XLIV
    Nogent-le-Rotrou, novembre 1305
    L e premier lieutenant tremblait lorsqu’il frôla la torche de résineux de la flamme de la lampe à huile puis fit jouer la clef suspendue à son cou dans la serrure. La lourde porte de chêne s’entrouvrit.
    — Avance en allumant sur ton passage, ordonna Hardouin du même ton plat et courtois.
    Son regard fit le tour de la longue cave assez étroite, creusée dans la butte rocheuse sur laquelle était érigé le château Saint-Jean. Sans se tourner, sans lâcher l’autre du regard, il repoussa le battant de bois du pied en libérant sa proie. Le caleçon chut sur le sol irrégulier.
    Maurice Desprès haleta, forçant l’air dans ses poumons martyrisés. Il bafouilla :
    — Y a rien ! L’argent est point là. J’suis pas né d’la dernière pluie. L’est chez l’notaire ! Sauve-toi avant que je t’transforme la face en pâté de hure !
    — Oh, mais si, il y a. Qu’est-ce ? s’enquit Hardouin en désignant un tas de loques de la pointe de sa dague.
    — Rien. Des haillons. Faut qu’j’les brûle. Ça grouille de vermine.
    — Des hardes d’enfants.
    — Ouais, alors ? rétorqua l’autre qui avait repris du poil de la bête et semblait bien moins impressionné, le poids l’avantageant. Y’a rin pour un vaurien d’ta sorte.
    — Erreur. Il y a tout. Pourquoi ne pas enflammer cette torche, là, au-dessus de cette ombre qui m’évoque une table ? demanda Hardouin en désignant d’un mouvement de menton le fond de la cave.
    — Carapate-toi, l’homme, avant que ma bile s’échauffe, gronda Desprès.
    — Allume ! exigea le bourreau d’un ton cinglant.

    Il vit l’envie du meurtre s’inscrire dans les yeux de l’autre. En une fraction de seconde, le chemin que lui avait enseigné son père se déroula devant lui. Il plongea dans cet autre lui-même. Un lieu qui n’existait pas mais où les hurlements, les agonies des êtres ne pénétraient plus.
    Il vit Desprès se ruer vers lui, tête baissée. Un saut, une pirouette. Et sa lame s’enfonça très précisément, très brutalement entre la deuxième et la troisième vertèbre lombaire. Le lieutenant demeura planté, lui présentant son dos. Il tenta de se retourner pour repartir à la charge et s’affala de tout son long sur le flanc, en vagissant.
    En deux enjambées, Hardouin alla verrouiller l’épaisse porte