Le bûcher de Montségur
de France, qui avait d’abord cherché à limiter un mouvement qui risquait de lui faire perdre une partie de ses soldats à un moment où il pouvait en avoir besoin, dut aussitôt renoncer à cette tentative.
Il venait des volontaires de Normandie et de Champagne, de l’Anjou et des Flandres, de Picardie et du Limousin ; les paysans et les bourgeois se croisent en même temps que les chevaliers, et vont se ranger sous les drapeaux de leurs seigneurs et de leurs évêques. On ne peut évaluer exactement quelle fut l’importance de cette armée ; les chiffres des historiens sont très imprécis. Il est certain que ce fut une armée grande pour l’époque, et que sa puissance impressionna les contemporains.
II – LES CROISÉS
Avant d’examiner en détail ce que fut cette hérésie qui provoqua la croisade albigeoise et de nous représenter ce qu’était le pays qui allait devenir le théâtre d’un des drames les plus cruels de notre histoire, il faut se rendre compte de ce qu’étaient les hommes qui ont eu le courage de porter la guerre dans un pays chrétien qui ne les attaquait pas et qui leur était proche par sa race et par sa langue.
Nous avons vu plus haut que les croisades étaient depuis longtemps entrées dans les mœurs de la noblesse occidentale. À part les quatre grandes croisades, il y avait eu, au cours de tout le XII e siècle, d’innombrables expéditions armées conduites par de grands seigneurs à leurs propres frais, expéditions auxquelles participaient non seulement les vassaux de ces seigneurs mais nombre de volontaires de tout rang et de toutes conditions ; beaucoup de ces corps expéditionnaires étaient conduits par des évêques. Dans leur majorité, les croisés étaient des Français, aussi bien du Midi que du Nord. L’Empire chrétien qui était en train de se fonder dans le Proche-Orient était un Empire franc ; il avait sans cesse besoin de nouveaux renforts et les royaumes chrétiens de l’Occident payèrent pendant cent ans un lourd tribut en vies humaines à la Terre sainte. Les pèlerins-guerriers n’étaient pas tous animés d’un enthousiasme pur et désintéressé ; une grande partie étaient des aventuriers et des ambitieux, mais l’approbation sans réserves que l’Église accordait aux pieuses entreprises qu’étaient les croisades entretenait, chez les hommes qui prenaient la croix, la certitude de servir Dieu et de sauver leur âme en faisant un métier qui, en d’autres circonstances, était entre tous nuisibles au salut : situation combien enviable pour un soldat. Les croisés de Terre sainte bénéficiaient des indulgences accordées par le pape, et celui qui avait participé à une croisade gagnait le pardon de ses péchés et avait en outre des chances de s’enrichir et de s’acquérir une bonne renommée.
Le principe de ces entreprises doublement profitables était séduisant, mais les défaites et l’effondrement progressif de l’Empire franc de Syrie et de Palestine décourageait les chercheurs d’aventures ; le nouvel Empire latin de Constantinople semblait offrir des possibilités plus grandes, mais n’avait pas le même pouvoir d’attraction que le Saint-Sépulcre. Et cependant bon nombre de militaires, en France surtout, avaient besoin d’une croisade comme un musulman a besoin d’un pèlerinage à La Mecque. Il ne faut donc pas s’étonner si l’appel du pape rencontra un accueil favorable dans les provinces de la France du Nord.
Les indulgences promises pour cette croisade nouvelle étaient analogues à celles qui étaient accordées aux croisés de Terre sainte ; or, l’effort à fournir était beaucoup moins grand. De plus, la croisade était un moyen commode de suspendre le paiement des dettes, de mettre ses biens à l’abri d’éventuelles contestations : les biens d’un croisé étaient déclarés inviolables pendant toute la durée du temps qu’il resterait en croisade.
Il est très probable, en effet, qu’une bonne partie de l’armée croisée se composait – tant parmi les chevaliers que parmi les bourgeois et les hommes du peuple – de pécheurs avides de gagner le pardon de Dieu et de gens perdus de dettes qui espéraient ainsi échapper aux persécutions de leurs créanciers ; et surtout de gens qui, ayant déjà fait le vœu de se rendre en Terre Sainte, étaient heureux d’échapper à cette obligation en participant à une croisade moins longue et moins pénible. Si un grand nombre de
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