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Le chant du départ

Le chant du départ

Titel: Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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renversent le régime. Ce serait ouvrir la porte aux troupes ennemies, aux Anglais, qui ont quarante vaisseaux devant Brest, aux Autrichiens qui rassemblent quarante mille hommes devant Strasbourg. Ce serait renoncer aux annexions, à la Belgique, française depuis le 1 er octobre. Barras s’interrompt. Il propose à Napoléon le poste de commandant en second.
    Napoléon est impassible, les yeux fixes, le teint encore plus jaune qu’à l’habitude. Le moment de se déclarer est-il venu ? Celui où l’on sort de l’abri du parapet face à la mitraille ? Est-ce l’instant d’ordonner l’ouverture du feu ? Se déclarer, s’exposer, pour défendre quoi ? Barras, Fréron ? La France ? La République ? Quelle est la préoccupation de ces hommes qui font appel à lui ? Leur pouvoir. Leurs trésors amassés. Leur volonté de ne jamais rendre des comptes de ce qu’ils ont fait, régicides, terroristes, corrompus faisant tirer contre les faubourgs, Thermidoriens qui ont le désir de digérer en paix, de jouir tout leur saoul !
    Faut-il, pour eux, devenir le bouc émissaire de tant de crimes auxquels on fut étranger ?
    Pour qui ? Pour quoi ?
    Pour moi .
    — Je vous donne trois minutes pour réfléchir, dit Barras.
    Il faut saisir par la crinière la chance qui passe comme un cheval au galop.
    — J’accepte, dit Napoléon d’une voix calme et sèche. Mais je vous préviens…
    Il s’interrompt. Comme tout devient simple quand l’action commence.
    — Si je tire l’épée, reprend-il, elle ne rentrera dans le fourreau que quand l’ordre sera rétabli, coûte que coûte.
     
    Il est une heure du matin, ce 5 octobre 1795, 13 Vendémiaire. Maintenant il faut dompter ce cheval dont on a saisi la crinière et qui vous emporte.
    Quand Napoléon passe parmi les soldats, qu’il interroge les officiers, il devine l’étonnement de ces hommes devant « le désordre de sa toilette, ses longs cheveux pendants et la vétusté de ses hardes ». Il surprend des chuchotements. « Bonaparte commande ? Qui diable est-ce, cela ? »
    D’abord comprendre la situation. Le général Menou est assis dans une pièce gardée. Napoléon, en quelques mots bienveillants, obtient de lui les renseignements indispensables.
    Puis donner des ordres. Pas de phrases inutiles. Laconisme. Ne pas aventurer les troupes, défendre la Convention. Les insurgés des sections ont la supériorité du nombre, mais ils vont avancer en colonnes séparées, qui seront exposées au tir des canons.
    D’un geste, Napoléon convoque un jeune chef d’escadron, Murat, qui va et vient d’un air prétentieux. L’officier s’approche, un peu méprisant. Les phrases s’abattent comme des couperets : « Prenez deux cents chevaux, allez sur-le-champ à la plaine des Sablons. Amenez les quarante pièces de canons et le parc. Qu’elles y soient ! Sabrez s’il faut, mais amenez-les. »
    Murat s’apprête à parler.
    — Vous m’en répondez, partez, conclut Napoléon.
    Dans le martèlement des sabots, Napoléon n’entend pas les Conventionnels qui l’entourent et l’accablent de questions. Quand les cavaliers se sont éloignés, il regarde ces hommes dont la peur et l’angoisse déforment souvent les traits : « Qu’on les arme, dit-il, qu’ils forment un bataillon et se tiennent prêts. »
    Il est si calme, si sûr de lui. Les décisions s’imbriquent les unes dans les autres comme dans une machinerie parfaite. Le déroulement de la partie qui s’engage, il le prévoit. Les sectionnaires ont aussi dû penser aux canons, mais ils arriveront après Murat. Et les quarante pièces d’artillerie seront l’atout décisif. Celui dont ne s’était pas servi Louis XVI en juin 91 et en août 92. Celui qu’il faut utiliser pour dégager les rues, parce que l’emploi des canons dans la ville va surprendre et renverser l’équilibre des forces qui est en faveur des sections royalistes.
     
    Il saute à cheval, va d’un poste à l’autre, s’arrête seulement quelques minutes. Il aime ce mouvement des lieutenants qui se présentent au rapport. Il sent le regard des soldats. Il ne prononce que quelques mots. Il voit changer les attitudes. On lui fait confiance. Il repart. Il sait que commander c’est aussi être vu de tous. Il faut qu’on sache qu’il est là, présent sous le feu. Il faut qu’on l’entende donner des ordres sans hésitation.
    Le bras droit tendu, il faut disposer les canons aux extrémités de toutes les rues qui conduisent à la

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