Le chant du départ
s’esclaffent, Napoléon reste impassible.
Dehors, sous les galeries du Palais-Royal, des groupes vocifèrent. On s’indigne des résultats du référendum approuvant la Constitution par un peu plus d’un million de voix, et à peine cinquante mille hostiles, mais il y a plus de cinq millions d’abstentions. Et ce décret des Deux-Tiers permettant aux Conventionnels de se retrouver dans les deux assemblées n’a recueilli que deux cent cinq mille quatre cent quatre-vingt-dix-huit voix contre plus de cent mille ! Farce, hurle-t-on. Puis des coups de feu. On tire sur une patrouille de l’armée. Des jeunes gens en armes passent. Certains portent l’emblème des Vendéens, fait d’un coeur et de la croix.
Mille émigrés ont débarqué, accompagnés de deux mille Anglais, dans l’île d’Yeu. Trente des quarante-huit sections de Paris, conduites par la section Lepeletier, appellent à se dresser contre la Convention, à prendre les armes. Maintenant que les sans-culottes ont été écrasés, que l’armée a été épurée de ses officiers jacobins, les modérés et les royalistes peuvent imaginer qu’ils ont la partie facile. Ils disposent de trente mille gardes nationaux en uniforme, et la Convention ne peut compter que sur huit mille hommes.
Ces voix, ces cris, ces rumeurs, ces coups de feu, ce piétinement des gardes nationaux en armes, et parfois ce galop d’un cheval, Napoléon les écoute, comme un chasseur qui guette l’occasion propice. Mais il n’est rien. Il ne peut qu’observer, attendre. Quoi ? questionne Junot.
On vient d’apprendre que la Convention, inquiète, appelle les généraux et les officiers disgraciés pour leur jacobinisme à la défendre. Elle a même formé avec des membres des sections anti-royalistes trois bataillons de volontaires, « les Patriotes de 89 ».
Protéger Barras, Fréron, Tallien, Cambacérès ! Napoléon ricane. Il prend Junot par le bras. « Ah, murmure-t-il les dents serrées, si les sections me mettaient à leur tête, je répondrais bien, moi, de les mettre dans deux heures aux Tuileries et d’en chasser tous les misérables conventionnels ! »
Mais les sections ont choisi le général Danican, et l’armée de la Convention est dirigée par le général Menou, celui-là même qui, le 20 mai, a brisé l’émeute de la faim des sans-culottes.
Où sont les différences entre Danican et Menou ? Allons au théâtre.
Les tambours dans les rues battent la générale. Des troupes passent, fantassins, artilleurs, cavaliers, se dirigeant vers la rue Vivienne pour aller occuper la section Lepeletier, où siège, sous la direction du royaliste Richer de Sérizy, le comité central militaire de toutes les sections parisiennes qui se sont mises en insurrection contre la Convention.
Il est neuf heures du soir. Napoléon se tient en retrait. Il commence à pleuvoir. Son uniforme prend l’eau. Ses cheveux longs qui tombent sur ses épaules sont trempés. Dans l’obscurité, personne ne le remarque. Des bataillons de gardes nationaux s’avancent, précédés de tambours, prennent position rue du Faubourg-Saint-Honoré. Qu’attend donc le général Menou pour disperser les troupes des sections ?
Il semble au contraire qu’elles investissent peu à peu toute la capitale, cependant que maintenant il pleut à verse.
Napoléon se dirige vers la Convention. On l’interpelle. Sait-il que le général Menou a été mis en état d’arrestation pour avoir parlementé avec les sections, et retiré l’armée, laissant la rue aux mains des insurgés ? Trente mille hommes ! Tous les généraux de l’état-major de Menou ont été destitués en même temps que lui. Barras a été désigné pour prendre le commandement en chef des troupes afin de défendre la Convention.
On vous cherche, général citoyen.
Napoléon ne ressent pas une émotion. Il ne presse pas son pas. Voici Fréron, tout à coup familier, qui parle de Pauline dont il est amoureux, Fréron qui murmure qu’il a suggéré à Barras de choisir Bonaparte comme commandant en second de l’armée. Et Barras a été attentif à la proposition. D’autres noms, en même temps que celui de Bonaparte, ont été cités par Carnot, ceux de Brune, de Verdières, mais Barras a répondu : « Ce ne sont point des généraux de plaine qu’il faut ici, c’est un général d’artillerie. »
Barras approche, fait signe à Fréron de s’écarter. Il est grave. Il ne faut pas que les royalistes
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