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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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portait sur son dos et le gendarme Javoir tenait sa chaise roulante.
    — Nos partisans rentrent chez eux ! dit le cul-de-jatte.
    — Ils savent qu’il ne se passera rien de la nuit, expliqua Hanriot qui leur avait fait distribuer du vin et promis un salaire. Ils ont faim, ils sont fatigués de rester debout depuis des heures.
    — Demain ils seront reposés, dit Robespierre avec lassitude avant d’entraîner ses proches dans un salon plus calme.
    — Il faut écrire une proclamation aux armées, dit Couthon en faisant rouler sa chaise jaune.
    — Au nom de qui ? demanda Robespierre.
    — De la Convention.
    — La Convention nous bannit!
    — Elle est où nous sommes.
    — Pourquoi pas au nom du peuple français ?
    Robespierre n’était pas doué pour l’action. Il hésitait. Il réclamait une légalité qu’on venait de lui retirer et qu’il avait refusé de conserver par les armes. Avec ses troupes populaires et leurs canons, un mot de lui aurait suffi pour investir l’assemblée et les Comités. Hanriot ne l’avait même pas proposé. Il y a quelque temps, Augustin avait insisté auprès de son frère pour qu’il remplace Hanriot, sans imagination ni vigueur, par un jeune général corse qu’il avait connu à Toulon : si Robespierre avait accepté ce Buonaparte, plus déterminé... mais au moment où ils se chamaillaient sur la meilleure formule pour s’adresser aux armées, ils entendirent une phrase sortie de cinq cents gorges : « Vive la Convention ! » Augustin se précipita à une fenêtre pour voir sur la place de Grève, aux flambeaux, les troupes bourgeoises que Barras menait en habit de général, avec son chapeau à plumes bleues, blanches et rouges. Une nouvelle clameur, plus proche, vint de l’escalier principal : une colonne avait contourné l’Hôtel de ville et faisait irruption dans les bâtiments. La porte du salon s’ouvrit à coups de bottes et le député Delormel entra dans un flot de gardes nationaux, baïonnettes au fusil. « Saisissez les hors-la-loi ! » dit un capitaine.
    Avant que les assaillants ne s’emparent des rebelles, Le Bas se tire une balle dans le cœur, il s’écroule raide mort; une mêlée se déclenche dans la demi-pénombre des salons et des couloirs, on s’empoigne, se cogne à des chaises renversées, piétine des lampes brisées, se distribue au hasard des coups de crosse ou de lame. Couthon a plongé sous une table et rampe, un sectionnaire l’a vu, il le tire par ses jambes estropiées, le traîne comme un sac, l’expédie dans l’escalier où sa tête heurte chaque marche. Robespierre a sorti de sa poche un pistolet chargé à plombs et s’apprête à imiter le geste de son ami Le Bas, mais Delormel l’attrape par la manche et le coup part, dévié; Robespierre a la mâchoire fracassée, des bourgeois à cocardes le ceinturent, l’empêchent de tomber sur le tapis. Augustin profite du mouvement pour sauter par une fenêtre sur la corniche, ses chaussures à la main, mais d’en bas on lui crie de se rendre, il a le vertige, trébuche, tombe de l’étage sur le perron central : il renverse deux hommes et se brise la cuisse. Hanriot s’enfuit, le vice-président du Tribunal révolutionnaire le prend par le collet : « Incapable! c’est à cause de toi! » Ils se battent, Hanriot bascule par une croisée ouverte et s’écrase dans la cour sur un tas de bouteilles cassées.
    Les principaux accusés une fois prisonniers et désarmés, un semblant de calme revient. Saint-Just n’a pas bougé, il se laisse conduire sans un mot. Delormel et l’un de ses collègues de la Convention assoient Robespierre qui défaille sur une chaise dont ils se saisissent comme d’un brancard et le descendent dans la rue. « Tenez-lui la tête plus haut, qu’il ne meure pas en route ! » Il a la cravate arrachée, la manche droite déchirée, le visage en sang; éclairé par des torches pour que chacun le voie déchu, Delormel et des porteurs improvisés l’emmènent ensuite vers les Tuileries sur une planche, tandis que le général Barras rentre dans l’Hôtel de ville à cheval, le chapeau à la main, sous les acclamations : seul militaire présent au Comité, il avait été désigné pour conduire les opérations.
    Dans tous les quartiers, les habitants de Paris avaient été prévenus de la prise de l’Hôtel de ville et du mauvais état de Robespierre. Une foultitude attendait autour des Tuileries et avait même submergé les corridors et les salles du

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