LE CHÂTEAU DANGEREUX
blessures que (et c’est mon devoir de vous le dire) vous devez considérer comme mortelles. »
« La chasse est-elle donc finie ? répliqua l’homme de Jedwood avec un soupir. Peu m’importe, bon père, car je crois m’être comporté comme il convient à un brave chasseur, et que la vieille forêt n’a point par ma faute perdu de sa réputation pour l’art de poursuivre et de réduire le gibier aux abois ; et même, dans cette dernière affaire, il me semble que ce beau chevalier anglais n’aurait point remporté un pareil avantage si le terrain où nous avons combattu eût été égal pour l’un et pour l’autre, ou si j’eusse été prévenu de son attaque. Mais il sera reconnu par tous ceux qui prendront la peine de l’examiner, que le pied du pauvre Michel Turnbull a glissé deux fois durant le combat, et qu’autrement il ne serait pas ici gisant dans l’agonie de la mort, tandis qu’au contraire cet homme du sud serait probablement mort comme un chien sur cette paille sanglante, en ma place. »
L’évêque répliqua en engageant son pénitent à renoncer à ces idées de vengeance et de mort, et à tâcher plutôt de réfléchir au grand voyage dont le moment ne tarderait pas à arriver.
« Oh ! répondit le blessé, vous, mon père, vous savez indubitablement mieux que moi ce qu’il convient que je fasse ; cependant il me semble que j’aurais été en faute si j’avais différé jusqu’à ce jour pour faire l’examen de ma vie, et je ne suis pas homme à nier que la mienne n’ait été sanglante et désespérée. Mais vous m’accorderez que je n’en ai jamais voulu à un brave ennemi de ce qu’il m’a fait souffrir, et que je suis un de ces hommes qui, nés en Écosse, et enflammés d’un amour bien naturel pour leur pays, n’ont point dans ces derniers temps préféré au casque de fer la toque et la plume, et n’ont pas été tant en rapport avec tels livres de prières qu’avec des lames nues ; et vous savez vous-même, mon père, si, dans notre résistance à l’usurpation anglaise, nous n’avons pas toujours eu l’approbation des fidèles prélats de l’Église écossaise, et si on ne nous a point exhortés à prendre les armes et à nous en servir pour l’honneur de notre roi d’Écosse et la défense de nos propres droits. »
« Assurément, dit le prélat, telles ont été nos exhortations à nos compatriotes opprimés, et je ne vous enseigne pas à présent une doctrine contraire ; néanmoins, aujourd’hui que j’ai du sang autour de moi et un homme qui se meurt sous mes yeux, j’ai besoin de souhaiter de ne pas être sorti de la véritable route, de n’avoir pas ainsi contribué à égarer les autres. Puisse le ciel me pardonner si je l’ai fait, puisque je n’ai à alléguer que ma sincère et bonne intention en excuse du conseil erroné que je vous ai donné, à vous ainsi qu’à d’autres, touchant ces guerres. Je reconnais qu’en vous excitant à teindre vos épées dans du sang, j’ai violé jusqu’à un certain point le caractère de ma profession qui défend et de répandre le sang et de faire que d’autres le répandent. Puisse le ciel nous mettre à même de remplir nos devoirs et de nous repentir de nos erreurs, particulièrement de celles qui ont occasioné la mort ou le malheur de nos semblables ! et surtout, puisse le chrétien mourant reconnaître ses erreurs, et se repentir avec sincérité d’avoir fait à autrui ce qu’il n’aurait pas voulu qu’il lui fût fait ! »
« Quant à cette affaire, répliqua Turnbull, je n’ai jamais vu le temps où je n’aie pas été prêt à échanger un coup avec l’homme le plus courageux du monde ; et si je n’ai pas toujours manié l’épée, c’est parce que j’avais appris à faire usage de la hache d’armes de Jedwood, que les Anglais appellent pertuisane, et qui ne diffère guère, suivant moi, de l’épée ni du poignard. »
« La différence n’est pas grande, sans doute, dit l’évêque ; mais je crains, mon ami, que la mort donnée avec ce que vous appelez la hache de Jedwood ne vous vaille aucun privilége sur celui qui exécute la même action et commet le même mal avec toute autre arme. »
« À coup sûr, digne père, répliqua le pénitent, je dois convenir que l’effet des armes est le même, en ce qui concerne l’homme qui reçoit le coup ; mais je demanderai à votre science pourquoi un homme de Jedwood ne se servirait pas, comme c’est
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