LE CHÂTEAU DANGEREUX
dans sa voix le plaisir secret qui, une fois gravé dans le cœur humain, n’en est ensuite que difficilement effacé, même par une longue suite d’événemens, il se persuada presque que ces accens lui étaient familiers, et avaient jadis formé la clef de ses plus intimes affections. À mesure qu’ils continuaient de faire route ensemble, le trouble du chevalier augmenta au lieu de diminuer. Les scènes de sa première jeunesse se retraçaient à son esprit, rappelées par des circonstances si légères, que, dans des cas ordinaires, elles n’eussent produit aucun effet. Les sentimens qu’on manifestait devant lui étaient semblables à ceux qu’il avait été toute sa vie dévoué à établir, et il se persuadait à demi que le retour du jour serait pour lui le commencement d’une fortune non moins bizarre qu’extraordinaire.
Au milieu de cette anxiété, sir Malcolm Fleming ne pressentait nullement que la dame qu’il avait autrefois rejetée se retrouvait sur son passage après des années d’absence ; moins encore, lorsque le crépuscule lui permit d’entrevoir les traits de sa belle compagne, était-il préparé à croire qu’il eût de rechef à s’appeler le champion de Marguerite de Hautlieu, mais c’était la vérité. Marguerite, dans cette affreuse matinée où elle s’était retirée de l’église de Douglas n’avait pas résolu (et en effet quelle femme le fit jamais ?) de renoncer, sans quelque tentative aux beautés qu’elle avait jadis possédées. Un long intervalle de temps, employé par d’habiles mains, avait réussi à effacer les cicatrices que lui avait laissées sa chute. Elles avaient alors presque disparu ; et l’œil qu’elle avait perdu ne semblait plus si difforme, caché qu’il était par un ruban noir, et par le talent et l’adresse de sa femme de chambre qui se chargeait du soin de le dissimuler avec une boucle de cheveux. En un mot, il revoyait Marguerite de Hautlieu peu différente de ce qu’il l’avait connue autrefois, possédant toujours une expression de physionomie qui participait du caractère haut et passionné de son ame. Il leur sembla donc à tous deux que le destin, en les réunissant après une séparation qui paraissait si décisive, avait décrété au nombre de ses fiat que leurs fortunes étaient inséparables l’une de l’autre. Pendant que le soleil d’été s’élevait déja à une certaine hauteur dans les cieux, les deux voyageurs s’étaient séparés de leur suite, causant ensemble avec une chaleur qui montrait l’importance des affaires qu’ils discutaient ; et peu après il fut généralement connu en Écosse que sir Malcolm Fleming et lady Marguerite de Hautlieu devaient être unis à la cour du bon roi Robert, et l’époux investi du comté de Riggar et de Cumberland, comté qui demeura si long-temps dans la famille de Fleming.
Le bienveillant lecteur sait que ces contes sont, suivant toute probabilité, les derniers que l’auteur aura à soumettre au public. Il est maintenant à la veille de visiter des pays étrangers. Un vaisseau de guerre a été désigné par son royal maître pour conduire l’auteur de Waverley dans des climats où il recouvrera peut-être une santé qui lui permettra d’achever ensuite le fil de sa vie dans sa contrée natale. S’il eût continué ses travaux littéraires habituels, il semble en effet probable que, à l’âge où il est déja arrivé, le vase, pour employer le langage énergique de l’Écriture, se serait brisé à la fontaine ; et l’on ne peut guère, lorsqu’on a obtenu une part peu commune du plus inestimable des biens de ce monde, se plaindre que la vie, en avançant vers son terme, soit accompagnée comme toujours de troubles et d’orages. Ils ne l’ont pas affecté, du moins, d’une manière plus pénible qu’il n’est inséparable de l’acquittement de cette partie de la dette de l’humanité. De ceux dont les rapports avec lui, dans les rangs de la vie, auraient pu lui assurer leur sympathie dans ses douleurs, plusieurs n’existent plus aujourd’hui ; et ceux qui peuvent encore assister à sa veille ici-bas ont droit d’attendre, dans la manière dont il endurera des maux inévitables, un exemple de fermeté et de patience que doit surtout donner un homme qui a joui d’une grande bonne-fortune pendant le cours de son pèlerinage.
L’auteur de Waverley doit au public une reconnaissance qu’aucune expression ne saurait rendre ; mais il peut
Weitere Kostenlose Bücher