Le cheval de Troie
Le duel n’a pas eu lieu. Hélène s’est avancée et a planté un poignard entre les omoplates de Déiphobos. Puis elle s’est jetée à genoux, les seins pointés en avant. « Tue-moi, Ménélas ! Tue-moi ! s’est-elle écriée. Je ne mérite pas de vivre ! Tue-moi, tout de suite. »
Naturellement il n’en a rien fait. Il a jeté un coup d’œil à ses seins et le tour était joué. Ils sont sortis ensemble de la pièce sans même regarder de notre côté.
— Ah, l’ironie du destin ! Quand on pense que, pendant dix ans, vous vous êtes battus pour voir mourir Hélène ! Et voilà que maintenant elle rentre chez elle à Amyclées, libre, et toujours reine !
— Ma foi, on ne sait jamais où et quand la mort frappe, remarqua Ulysse.
Il était voûté et paraissait son âge, quarante ans, ce que je remarquai pour la première fois. Les ans et l’exil lui pesaient ; malgré son goût pour les machinations, il aspirait à rentrer chez lui. Il me salua et s’éloigna avec Hécube qui hurlait toujours, puis disparut dans une ruelle. Je fis signe à Automédon et nous poursuivîmes notre route en direction de la porte Scée.
Les chevaux descendirent lentement la route qui menait à la plage. Énée et Andromaque marchaient derrière, le cadavre de Priam bringuebalant entre eux sur le sol. Arrivé au camp, je dépassai le quartier des Myrmidons, traversai à gué le Scamandre et pris le chemin qui menait aux tombeaux.
Quand les chevaux ne purent aller plus loin, je détachai Priam, enroulai l’extrémité de sa robe autour de mon poignet et le traînai jusqu’à l’endroit où reposait mon père. Je fis prendre à Priam la posture d’un suppliant agenouillé, enfonçai en terre la poignée de la Vieille Pélion puis entassai des pierres à sa base. Alors je me retournai pour contempler Troie dans la plaine ; les maisons crachaient des flammes qui montaient vers le ciel obscurci, la porte Scée était grande ouverte, pareille à la bouche d’un mort quand son ombre a gagné l’immense empire souterrain. Et puis, enfin, je pleurai Achille.
J’essayai de l’imaginer tel qu’il avait été à Troie, mais il y avait trop de sang, la mort rôdait. Un souvenir finit par émerger : mon père sortait du bain, son corps couvert d’huile luisait, ses yeux dorés brillaient, car il me regardait, moi, son petit garçon.
Peu m’importait qu’on me vît pleurer. Je regagnai mon char et pris place aux côtés d’Automédon.
— Retourne vers les navires, toi, l’ami de mon père. Nous rentrons chez nous.
— Chez nous ! répéta dans un soupir le fidèle Automédon qui avait embarqué à Aulis avec Achille. Chez nous…
Troie brûlait dans notre dos, mais nous ne voyions que les rayons du soleil qui dansaient sur la mer, nous invitant à prendre le chemin du retour.
Épilogue
Du sort de quelques-uns des survivants
Agamemnon rentra sain et sauf à Mycènes, sans se douter le moins du monde que sa femme, Clytemnestre, avait pris le pouvoir et épousé Égisthe. Après avoir fait bon accueil à Agamemnon, elle le persuada de prendre un bain. Tandis qu’il barbotait, tout heureux, elle s’empara de la hache sacrée et l’assassina. Puis elle tua sa concubine, la prophétesse Cassandre. Électre, la sœur aînée d’Oreste (le fils d’Agamemnon et de Clytemnestre) craignant qu’Égisthe ne le tuât, lui fit quitter Mycènes en secret. Une fois adulte, Oreste vengea son père en tuant sa mère et son amant. Mais il n’en résulta rien de bon ; les dieux exigeaient que son père fût vengé et condamnèrent Oreste pour matricide. Il en perdit la raison.
Énée , selon la tradition latine, aurait fui Troie avec son père Anchise perché sur ses épaules et le Palladion d’Athéna sous le bras. Il s’embarqua et finit par atteindre Carthage, en Afrique du Nord, où la reine Didon tomba follement amoureuse de lui. Quand il quitta le pays, elle se suicida. Alors Énée débarqua dans une plaine d’Italie centrale, livra bataille et s’y installa. Son fils Iule, qu’il avait eu de la princesse latine Lavinia, devint le roi d’Albe et fut l’ancêtre de Jules César. Cependant la tradition grecque est fort différente. Elle affirme qu’Énée fut la prise de guerre du fils d’Achille, Néoptolème, qui exigea des Dardaniens une rançon pour le leur rendre. Ensuite, Énée s’installa en Thrace.
Andromaque , la veuve d’Hector, fut l’autre prise de guerre qui échut à
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