Le clan de l'ours des cavernes
le sommeil l'emporta à nouveau.
La matinée était déjà bien avancée quand elle ouvrit les yeux, mais l'ombre épaisse du sous-bois l'empêchait de s'en rendre compte. La veille, elle s'était écartée de la rivière à la tombée de la nuit, et un instant la panique la saisit quand elle se vit entourée d'arbres.
La soif lui rappela la proximité du cours d'eau qu'elle entendait cascader.
Elle se laissa conduire par le bruit et retrouva la rivière avec un immense soulagement. Elle était aussi perdue sur cette rive boueuse que dans la forêt, mais elle se sentait rassurée de pouvoir suivre une voie toute tracée qui lui permettait d'étancher sa soif tant qu'elle la longerait. Si la veille l'eau avait suffi à la rassasier, il n'en était plus de même à
présent, et la faim commençait à la tarauder.
Elle savait que certaines plantes ou racines étaient bonnes à manger, mais elle ignorait lesquelles. La première feuille qu'elle go˚ta était amère et lui piqua la langue. Elle la recracha et se rinça la bouche. Cette expérience malheureuse la rendit hésitante et elle préféra boire encore un peu pour calmer sa faim, puis elle se remit en route, en suivant la rive.
La pénombre de la forêt dense lui semblait menaçante, et elle ne tenait pas à s'écarter de la rivière éclaboussée de soleil. quand la nuit tomba, elle ne s'aventura pas plus loin que la lisière des bois et se terra de nouveau sous une épaisse couche d'aiguilles de pin.
Sa deuxième nuit solitaire ne fut qu'une répétition plus douloureuse encore de la première. La peur et la faim étaient ses seules compagnes. Sa détresse était telle qu'elle se mit à chasser de sa mémoire le souvenir du tremblement de terre et de sa propre existence avant qu'il ne la bouleverse. Mais elle se garda également de penser au lendemain si chargé
de menaces.
quand, au matin, elle se remit en route, elle concentra son attention sur l'instant, sur le prochain obstacle à franchir, le prochain affluent à
traverser, le prochain tronc d'arbre abattu à escalader. Suivre la rivière devint une fin en soi, non parce que cela la conduirait quelque part, mais parce que c'étaît pour elle la seule façon de se donner un but, un objectif, une ligne de conduite. Cela valait mieux que de rester inactive.
Peu à peu la faim se transforma en une douleur sourde et obsédante. Elle pleurait de temps à autre tout en cheminant, et ses larmes traçaient des sillons brillants sur son visage sale. Son petit corps nu était maculé de poussière et de boue, et ses cheveux, autrefois blonds et soyeux, étaient tout emmêlés, remplis d'aiguilles de pin, de brindilles et de terre.
Sa progression s'avéra plus difficile lorsque la forêt de conifères fit place à une végétation plus rase, o˘ dominaient d'épais taillis, de hautes herbes et des graminées, un sol caractéristique des zones couvertes d'espèces à petites feuilles caduques. Il pleuvait par intermittence, et elle se mettait alors à l'abri d'un tronc d'arbre abattu, d'un gros rocher ou d'un affleurement en surplomb, quand elle ne continuait pas son chemin sous la pluie, pataugeant dans la boue. La nuit venue, elle se fit un lit de feuilles sèches dans lequel elle se blottit pour dormir.
Les grandes quantités d'eau qu'elle buvait réduisaient en l'hydratant le risque d'hypothermie, mais elle était très affaiblie. Elle ne sentait même plus sa faim, seulement un tiraillement au creux de l'estomac et, de temps à autre, quelques vertiges. Elle s'efforça de ne plus y penser, de ne plus penser à rien, si ce n'est au courant, à suivre le courant.
Le soleil qui pénétrait le lit de feuilles la tira de son sommeil. Elle quitta son petit abri tiède et douillet pour aller boire à la rivière, le corps encore couvert de brindilles. Un beau ciel bleu et un soleil resplendissant avaient heureusement remplacé les pluies de la veille. Après avoir marché un moment, la fillette s'aperçut que la rive qu'elle suivait s'élevait progressivement, et lorsqu'elle décida de se désaltérer à
nouveau, un fort escarpement la séparait de l'eau. Elle descendit la pente avec les plus grandes précautions, mais son pied glissa et elle roula jusqu'en bas.
Egratignée et endolorie, elle se retrouva dans la boue au bord du courant, trop fatiguée, trop faible et trop malheureuse pour faire un mouvement. De grosses larmes ruisselaient le long de ses joues et ses gémissements plaintifs dominaient le
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