Le Coeur de la Croix
haut leur indiquât le
départ de l’ennemi. Mais rien ne se produisait. Les hommes envoyés à la
poursuite d’al-Afdal s’étaient-ils évaporés ?
Combien de temps attendirent-ils ?
Simon n’aurait su le dire. Quant à Morgennes, il porta
al-Afdal sans broncher, tâchant d’oublier la douleur qui se répandait dans ses
bras, tant l’enfant semblait s’alourdir au fur et à mesure que le temps
passait. Morgennes se demandait s’il n’allait pas sortir Crucifère et son
couteau d’arme, et se battre, ou parlementer. Après tout, les hommes qu’ils
avaient entendus n’étaient peut-être pas des Templiers blancs.
Mais à peine eut-il posé l’enfant que trois formes
suspendues à des cordes descendirent dans le puits. L’une tenait une torche,
les deux autres une arbalète, qu’elles pointaient devant elles.
Apercevant Morgennes, une voix s’écria :
— Le voici !
Alors Morgennes et Simon dégainèrent leur épée et se ruèrent
au combat.
Deux carreaux partirent en sifflant. Le premier se ficha
dans l’armure de Morgennes, mais ne put la traverser ; le second toucha
Simon à la hauteur de l’estomac. Il s’effondra, se tenant le ventre à deux
mains, du sang filtrant entre ses doigts.
Morgennes leva son épée pour l’abattre sur l’un des
assaillants, mais un quatrième homme se laissa couler dans la salle et
cria :
— Rends-toi !
C’était Wash el-Rafid.
Morgennes le regarda, et répondit :
— Jamais !
Le Perse braqua sa lourde arbalète à deux plateaux vers
Simon, et articula :
— Lâche ton arme, ou il est mort !
Morgennes regarda Simon, puis Wash el-Rafid, tâchant de
deviner s’il bluffait ou non.
— Morgennes, non ! s’écria Simon.
Trop tard. Morgennes avait lâché Crucifère.
*
Au terme de plusieurs heures de marche, Wash el-Rafid les
conduisit dans une grande salle circulaire. Sa majeure partie était occupée par
un puits immense, béant au ras du sol, qu’aucune lumière ne parvenait à
pénétrer. Pourtant, une centaine de cierges similaires à ceux observés par
Morgennes au krak des Chevaliers illuminaient l’endroit. Leur éclat
rejaillissait sur des dizaines de croix métalliques, incrustées dans les murs,
retenant de lourdes tentures blanches. Au-dessus du puits voletaient une
myriade d’étincelles, qui s’ajoutaient aux feux des cierges et les vêtaient de
flou.
Enfin, huit colonnes de basalte soutenaient une effrayante
voûte convexe : on aurait dit huit gros doigts de pierre tendus vers un
sein géant, à la peau brune et serti de protubérances. Morgennes sut
immédiatement de quoi il s’agissait : de l’envers du fameux rocher sur
lequel Abraham avait accepté de sacrifier son fils. Rocher d’où Mahomet avait
accompli son « voyage nocturne », et qu’on disait touché par Gabriel.
Morgennes avait jadis pu admirer l’autre côté du rocher : un trou en forme
de sabot, témoin de la puissance avec laquelle al-Bourak, la jument de Mahomet,
s’était élancée vers le ciel, à la rencontre de Moïse, d’Abraham et de Jésus.
C’était en 620, et jusqu’en 630 – date de la prise de
La Mecque par Mahomet –, le rocher avait été pour les Mahométans le centre
du monde, vers lequel ils se tournaient à l’heure de la prière. À cette époque,
le dôme du Rocher, que les chrétiens appelleraient plus tard Templum Domini, le temple du Seigneur, n’existait pas encore. Il ne devait être bâti
qu’après la mort de Mahomet. Son architecte, Abd el-Malik, était un Roum à
moitié fou, qui s’était converti à l’Islam pour satisfaire aux exigences du
calife Omar ibn al-Khattab, deuxième successeur du Prophète – qui lui
avait passé commande des travaux. Abd el-Malik avait reçu l’ordre d’imaginer un
bâtiment dont la splendeur éclipserait celle de l’autre lieu saint de
Jérusalem : le Saint-Sépulcre. Il avait donc multiplié à l’infini les
complications des ornements et décorations du Dôme. Pour complaire aux
Mahométans – férus de géométrie – et agacer les chrétiens – qui
aimaient, à cette époque, la simplicité –, il s’était attaché à rendre,
par une architecture hautement symbolique, dérivant des rotondes funéraires
byzantines, l’idée qu’on se trouvait dans l’antichambre de la mort, à l’entrée
du paradis. Avec ses entrelacs de motifs arabisants, cette bâtisse en forme de martyrium, parée de nombreuses mosaïques à fond d’or et de
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