le collier sacré de Montézuma
suavité si délicieuse que la marquise avait décidé que l’on prendrait le café à table, contrairement à l’habitude…
Cyprien venait tout juste d’apporter le plateau quand la sonnette de l’entrée se fit entendre. Tante Amélie leva un sourcil :
— Tu attends une visite ? demanda-t-elle à Aldo.
— Je vous en aurais prévenue et ce ne peut être Adalbert. Il doit être en train d’achever son communiqué à l’Académie des inscriptions… À regret, soit dit en passant, il aurait préféré rester avec nous.
Un instant plus tard, le vieux maître d’hôtel reparaissait, portant une lettre sur un petit plateau d’argent.
— On vient de déposer ceci, dit-il en le présentant à Morosini. Il y a une réponse…
Pas de suscription sur l’enveloppe blanche et, à l’intérieur, une feuille tapée à la machine et vaguement signée d’un hiéroglyphe intraduisible. Le texte en était court :
« Une voiture vous attend de l’autre côté de la rue. Si vous voulez garder une chance de revoir vivant votre ami Vauxbrun, montez dedans et laissez-vous conduire ! Avertir la police serait désastreux. Vous n’avez rien à redouter… »
Aldo, tel un ressort, se leva de table :
— Dites que j’arrive ! fit-il en tendant le billet à Tante Amélie que Plan-Crépin rejoignit aussitôt pour lire pardessus son épaule :
— Vous y allez ? s’inquiéta-t-elle. Comme cela ? Et seul ?
— Vous voyez une autre solution ? Évidemment, j’y vais ! Trop heureux de trouver, enfin, un fil conducteur ! N’importe quoi vaut mieux que continuer de tourner en rond comme nous le faisons depuis ce foutu mariage !
En sortant de la maison, il vit une imposante voiture noire garée de l’autre côté de la rue, mal éclairée ce soir-là en raison d’une baisse de tension des réverbères. Un homme en livrée de chauffeur se tenait debout auprès de la portière arrière qu’il ouvrit en voyant venir son passager et referma. À clef ! Tout se passa si vite qu’Aldo n’eut qu’une vision rapide de cet homme. Râblé, apparemment solide, la visière vernie de sa casquette plate empêchant de distinguer le haut de son visage, le bas disparaissant sous un cache-nez inattendu. Aldo ne perdit pas son temps à lui demander où il l’emmenait, persuadé qu’il ne répondrait pas.
L’intérieur du véhicule était obscur, les rideaux roulants tirés. En outre, il y avait comme dans les taxis une cloison de séparation entre chauffeur et passager que l’on avait aussi obturée. On ne tenait pas à ce qu’il vît où on le conduisait.
Il ne chercha pas à le savoir. Curieusement, il n’était pas inquiet. Cet enlèvement impromptu ne pouvait avoir pour but de le faire disparaître. Les termes de la lettre qu’il n’avait aucune raison de mettre en doute laissaient plutôt supposer qu’on avait l’intention de lui proposer un marché. Restait à savoir lequel. Au fond, cette curieuse invitation lui apportait une sorte de soulagement, parce qu’elle signifiait que Gilles n’était pas rayé du monde des vivants, ce qu’il lui arrivait de suspecter après la brutalité dont on avait usé envers le malheureux chauffeur simplement chargé d’emmener un homme faire bénir son mariage avec la femme qu’il aimait. En danger certainement, et l’exigence du marché allait être à la hauteur du péril couru mais, n’y eut-il qu’une chance sur un million de sauver Gilles, Morosini était prêt à la saisir…
Il connaissait trop bien Paris et surtout ce quartier Étoile-Monceau pour se tromper sur l’itinéraire que l’on suivait, et les élégants rideaux de soie tirés devant les vitres lui semblaient presque attendrissants. Par leurs minces interstices, il pouvait apercevoir l’éclairage des rues. Quand il n’en vit plus, il sut que l’on entrait dans le bois de Boulogne, très certainement par la porte Dauphine. Restait à savoir dans quelle direction on le traverserait.
En fait, on ne le traversa pas. Après quelques minutes de voyage et trois ou quatre virages, les roues quittèrent l’asphalte pour un chemin de terre – peut-être une allée cavalière ? – puis s’immobilisèrent. La portière s’ouvrit et le chauffeur, qui avait jugé bon de s’équiper d’un pistolet, s’en servit pour faire signe à son passager de descendre… On était en plein bois mais les ténèbres n’étaient pas opaques. En particulier pour Aldo, qui possédait des yeux de chat.
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