le collier sacré de Montézuma
pouvaient que lui compliquer la vie. Même si son dernier regard mouillé lui laissait un désagréable sentiment de culpabilité. Ce soir, au lieu de se rendre chez les dames Timmermans, il se ferait représenter par d’autres roses accompagnées d’un mot disant que, obligé de repartir à Paris, il lui serait impossible de venir leur présenter ses hommages…
Cette décision prise, il s’efforça de ne plus y penser.
Appartenant au domaine royal qu’en Belgique on concevait seulement entouré de parcs immenses plantés de beaux arbres, le château de Bouchout, rêvant sur un étang entouré de frondaisons magnifiques, apparut à Morosini comme essentiellement romantique : un vaisseau du passé à peine rattaché à la terre par le lien d’un pont-levis. En dépit de son donjon carré et de ses grosses tours rondes et crénelées, il n’avait rien de rébarbatif, peut-être à cause des nombreuses fenêtres dont on l’avait éclairé. Il était bien le cadre où pouvaient s’amarrer les rêves imprécis d’une princesse malheureuse…
Malgré le temps devenu affreux – la pluie s’était mise à tomber au moment où le taxi quittait l’hôtel ! – aucune impression de tristesse ne s’en dégageait, sans doute parce que le domaine était parfaitement entretenu et qu’à entendre le gardien l’intérieur du château recevait la visite des préposées au ménage trois fois par semaine. Des femmes pas autrement rassurées et qui exécutaient leur travail en un temps record : l’impératrice n’était pas morte depuis huit jours que quelqu’un assurait avoir vu son fantôme…
— Les femmes, ça voit des fantômes partout, expliqua l’homme tout en guidant à travers les jardins le visiteur qu’il abritait d’un grand parapluie noir. Remarquez, c’est possible qu’elle revienne, notre pauvre dame, mais elle ne doit pas être si terrifiante. Toujours habillée de jolies robes de soie blanche ou rose, ou bleue, avec des bijoux ou alors avec des fleurs – elle les adorait ! –, et quand on la rencontrait, toujours aimable. Il est vrai qu’il y avait ces jours où elle restait enfermée au château, même par beau temps, et on savait ce que ça voulait dire : c’était quand ça n’allait pas, qu’elle avait ses humeurs noires. Paraît même qu’elle devenait méchante, qu’il lui arrivait de mordre ou de griffer ses serviteurs. Pourtant on l’aimait et on la plaignait…
D’abord méfiant mais vite mis en confiance par le gros billet offert par Morosini, l’homme devint intarissable, évoquant Charlotte canotant sur le lac, s’attardant dans les serres, bavardant avec les jardiniers, se promenant en calèche ou faisant de la musique toutes fenêtres ouvertes, au point que le visiteur croyait apercevoir le balancement d’une crinoline au détour d’un bosquet ou la fuite soyeuse d’une traîne derrière un massif de houx.
À l’intérieur, la volonté de reconstituer le décor était évidente même si l’image que l’on s’en faisait au siècle précédent n’avait que fort peu de chose à voir avec celui conçu au XII e siècle par Godefroi le Barbu, premier bâtisseur. Aldo détestait le style troubadour mais ses excès, son romantisme échevelé devaient convenir à un esprit troublé et, en parcourant les pièces désertes, il ne pouvait s’empêcher d’évoquer Louis II de Bavière et ses châteaux fantastiques : comme à Bouchout, un être jeune et beau y avait affronté la folie…
Dans la chapelle gothique où demeurait le prie-Dieu de velours rouge, il déposa ses fleurs sur les marches de l’autel après en avoir prélevé une qu’il plaça sur l’appui du petit meuble, après quoi il s’agenouilla pour une courte prière avant de poursuivre sa visite.
Le reste du château ne lui apprit rien de plus. Certes, les meubles étaient toujours en place ainsi que les tentures, mais il ne restait aucun de ces mille objets, précieux souvent, que l’on disposait sur les tables, les consoles ou les cheminées.
Quand on sortit, la pluie continuait de tomber avec une obstination annonçant qu’elle persévérerait. Les deux hommes cohabitèrent de nouveau sous le parapluie et Aldo essaya de savoir si son guide pourrait le renseigner sur les dernières suivantes et servantes de Charlotte :
— Oh ! Moi, je n’avais jamais affaire à elles. Ma femme en saurait peut-être davantage. Il lui arrivait de travailler au château… Si vous voulez bien
Weitere Kostenlose Bücher