Le combat des Reines
eut l'air
perplexe. Les lieutenants du grand démon avaient senti qu'il se passait quelque
chose de grave.
— Pourquoi
vous intéressez-vous à Agnès d'Albret ? s'enquit Marigny d'une voix douce.
— Parce
qu'il me sied, rétorqua Isabelle. Elle a demandé à rejoindre ma maison. Elle
est allée vous voir dans vos quartiers et n'en est pas revenue.
— Agnès
d'Albret, répondit Marigny en choisissant ses mots avec grand soin, n'est pas
bien, madame. Quelque humeur déréglée.
Il se tapota la
tempe.
— Il
vaudrait mieux qu'elle retourne à la Cour de France. La reine douairière
elle-même a reconnu que, peut-être, sa présence n'est plus requise ici. En
réalité, dame Agnès est déjà partie pour Douvres où l'attend une cogghe
française.
— Très
bien.
La souveraine se
leva.
Les mines
surprises des compagnons de Marigny étaient presque comiques.
— Est-ce là
tout, Votre Grâce ? s'étonna ce dernier en se levant aussi.
— Je vous
ai posé une question : où est Agnès d'Albret ? rétorqua Isabelle.
Vous y avez répondu. Que puis-je ajouter ?
Elle montra la
porte.
Marigny et ses
compagnons se reprirent en hâte et saluèrent.
— Oh, messires,
j'ai failli oublier !
Ma maîtresse fît
un pas en avant.
— Quand
vous rentrerez en France — et ce sera peut-être plus tôt que vous ne
le croyez —, faites savoir à mon bon père que mon époux, Sa Grâce le roi
Édouard, sait qui est l'Empoisonneuse.
Marigny
s'immobilisa, bouche bée. Quelle douce revanche que ce spectacle ! Mains à
demi levées, ouvrant et fermant la bouche, yeux exorbités, il avait l'air d'un
homme assommé d'un coup de gourdin.
— Madame,
Votre Grâce, bégaya-t-il, qu'est-ce à dire ?
— Messires,
répondit Isabelle avec affabilité, notre audience est terminée. Mes pages et
mes écuyers vous raccompagneront.
Marigny serait
bien resté, mais la reine fit un geste de dénégation.
— Messire,
d'autres tâches m'attendent.
Quand ils furent
partis et que la porte eut été refermée derrière eux, Isabelle s'assit, plongea
son visage dans ses mains et se mit à rire comme une jouvencelle.
— Oh,
Mathilde, dit-elle en relevant la tête, voilà des années que j'en rêvais !
Et à présent, ma douce...
Elle se tourna
vers moi.
— ... il
faut que nous parlions à ma révérée tante et à son diablotin, Guido le
Jongleur.
La reine
douairière se rendit compte qu'il se passait quelque chose d'insolite dès
qu'elle prit place. Elle jeta un regard suspicieux à sa nièce, dont les habits
et la tournure imitaient les siens d'une façon si malicieuse. Près de
Marguerite, Guido, en pourpoint rouge et or, en hauts-de-chausses bleus,
paraissait mal à l'aise et ne cessait de tourner les yeux vers l'huis où les
gardes d'Isabelle avaient retiré sa dague de sa gaine.
— Que se
passe-t-il, ma nièce bien-aimée ? commença Marguerite. Il y a des soldats
partout ; on raconte que le danger est grand...
— Très
chère tante, c'est vrai, mais cela ne durera point.
— Alors
pourquoi m'avez-vous conviée céans ?
— Pour vous
accuser de vile et haineuse trahison contre moi, mon époux et la Couronne
d'Angleterre.
La reine
douairière fit mine de se lever.
— De grâce,
restez ! la prévint Isabelle. Quittez cette pièce maintenant, et vous et
les vôtres serez arrêtés.
Elle désigna
Guido.
— Il sera
pendu sur-le-champ. J'en ai le pouvoir : en quelques minutes, vous,
l'Empoisonneuse, serez incarcérée et vous, messire, assassin, espion, âme
vraiment félonne, vous serez pendu aux poutres du corps de garde.
Elle tendit les mains.
— C'est à
vous de choisir.
— Je
protesterai !
— Bien sûr !
C'est ce que fait sans cesse Satan.
— Madame,
Votre Grâce... intervint Guido en se tortillant sur sa chaire.
— Taisez-vous,
lui intima Isabelle d'un ton sec. Vous êtes devant une cour d'Oyer et Terminer.
Vous risquez votre tête. Dehors, les hommes qui seront vos bourreaux se
rassemblent. Voulez-vous résister ou écouter ?
Guido s'affala
sur son siège, mais, devant cette funeste perspective, son visage s'empourpra,
ses yeux étincelèrent de façon saisissante et son front se couvrit de sueur.
— Il manque
deux personnes, déclara Isabelle avec enjouement. Margaret, comtesse de
Cornouailles, mais nous n'avons point besoin d'elle pour régler cette affaire,
et Agnès d'Albret. Où est-elle, ma tante ?
La reine
douairière lui répondit par un regard
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