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Le commandant d'Auschwitz parle

Le commandant d'Auschwitz parle

Titel: Le commandant d'Auschwitz parle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rudolf Hoess
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Hoess, mais elle ne rend pas compte du phénomène. S’il y
avait des pervers dans le monde de la SS, ils étaient minoritaires. Qu’ils le
soient devenus, c’est une autre chose : le programme d’éducation de
Himmler a atteint son objectif de déshumanisation de ses propres troupes. Mais
les officiers SS étaient, pour une grande part, du modèle de Hoess : bonne
éducation, souvent religieuse, bonne formation scolaire et souvent
universitaire, bons pères de famille. Hoess est sincère quand il s’étend sur ses
doutes intérieurs quant aux tâches d’extermination qu’il avait à accomplir.
Mais il en allait de même pour ses collègues ; les minutes de leurs procès
fourmillent de déclarations de ce genre, et, nous disent les psychiatres
chargés de leur expertise psychologique, il faut les croire [8] .
    On voit bien, alors, à travers les propos de Hoess, le
mécanisme de l’engrenage vers la radicalisation : la certitude et la
sérénité que chacun s’appliquait à afficher aidaient les autres à refouler
leurs doutes, qui devenaient une source de culpabilité [9] . Mais ce qui est
vrai des officiers est vrai également des hommes de troupe : la SS
recrutait ses hommes dans toutes les couches de la société, et non pas dans les
bas-fonds. Il ne s’agit nullement, par là, de réhabiliter la SS, mais de mettre
en lumière un fait social qui a influé considérablement sur le cours des
événements – dans le sens de leur radicalisation, paradoxalement. Hoess
évoque son soulagement quand les chambres à gaz viennent remplacer les bains de
sang : il exprime un sentiment collectif suffisamment fort pour que
Himmler en ait été saisi. L’extermination en masse des Juifs avait commencé, en
effet, au début de l’été 1941, en liaison étroite avec la guerre contre l’URSS.
Elle était le fait de ces commandos, déjà évoqués, les Einsatzgruppen, qui
opéraient à la mitrailleuse. Dans le cours de l’été, Himmler avait reçu
suffisamment de rapports des chefs de ces commandos faisant état de la profonde
démoralisation de leurs hommes, en proie à de graves désordres psychiques et
mentaux, pour qu’il envisage de changer de méthode.
    C’est ainsi qu’il a imaginé, en s’appuyant sur l’expérience
acquise lors de l’entreprise d’euthanasie des malades mentaux allemands, un des
autres grands crimes du régime, d’employer les gaz asphyxiants : il s’agissait
de ménager la sensibilité de ses hommes et surtout de leur éviter la
culpabilité. Il y avait, bien sûr, une autre raison : il commençait à
comprendre qu’avec la première méthode, « artisanale », on ne
viendrait pas à bout de l’immense programme d’extermination que le nazisme
envisageait. Il reste, cependant, que c’est aussi en vertu de considérations « morales »
que les nazis ont inventé la chambre à gaz, tout spécialement destinée aux
femmes et aux enfants. La « charge » des exécutants du massacre en a
été allégée, mais elle n’a pas disparu : les massacres en Europe
orientale, derrière les fronts, se sont poursuivis, d’une ampleur moindre,
jusqu’à la fin de la guerre – les chambres à gaz ne suffisaient pas.
    Ces massacres ont révélé alors un phénomène, encore plus
accablant pour notre réflexion sur l’entrecroisement de l’ordinaire et du
monstrueux, que Christopher Browning, historien américain, a rapporté dans un
livre publié en France en 1994. Il y décrit l’histoire d’un bataillon de police,
mobilisé en 1942, et parachuté sans la moindre préparation dans les villages
polonais pour y pratiquer ce type de « nettoyage ethnique [10]  ». Ces
hommes étaient des réservistes, ils n’avaient pas subi le conditionnement des
SS, ils n’avaient pas l’expérience des corps francs comme Hoess, ils étaient
tous des civils allemands et pères de famille trop âgés pour être envoyés au
front, et, pourtant, ils ont montré du jour au lendemain la même efficacité
dans le meurtre de masse que les SS chevronnés. Très peu se sont dérobés à la
tâche (bien qu’ils n’aient pas encouru de mesure disciplinaire) et un grand
nombre a évoqué le même mécanisme de refoulement du doute et de culpabilité
devant le sentiment de faiblesse que Rudolf Hoess. On ne peut même pas évoquer
à leur endroit le ressort de l’idéologie et de l’antisémitisme : ils se
tenaient, dans le civil, à l’écart du parti et certains d’entre eux ont

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