Le cri de l'oie blanche
Du lac Éric.
– Du lac Éric ?
Confondue pendant quelques secondes, Émilie
crut qu’il venait lui annoncer qu’Ovila était au lac Éric.
– Ça n’a rien à voir avec votre mari,
Émilie. C’est à propos de vous.
Émilie essuya ses mains blanches de farine sur
son tablier après avoir repoussé la mèche qui lui tombait toujours
inexorablement sur le front. Le curé la regarda en souriant.
– C’est assez joli. Maintenant, non
seulement vous avez les joues blanches, mais vos cheveux viennent de vieillir
de dix ans.
Émilie se précipita devant un miroir et
s’empressa d’effacer les traces de son occupation matinale.
– Qu’est-ce que vous diriez de ça,
Émilie, si, au lieu de vous barbouiller avec de la farine, vous recommenciez à
le faire avec de la poudre de craie ?
– À chauler quoi ?
– Une ardoise…
Sous le coup de l’émotion, Émilie s’assit. Il
lui parlait de retourner à l’enseignement. À son âge ! Avec neuf
enfants ! Non, elle avait dû mal comprendre. Mais le curé lui expliqua que
l’institutrice du haut du lac Éric avait rencontré un beau parti durant l’été
et qu’elle avait l’intention de faire sonner les cloches. Les écoliers se
retrouvaient seuls. Il avait rappelé aux commissaires désespérés qu’Émilie,
malgré une absence de dix-sept ans, serait certainement capable de prendre la
relève.
– Votre diplôme est encore bon.
– Mon diplôme, oui, mais moi ? Vous
savez, j’ai plus la patience que j’avais. Je suis pas certaine que ce serait
une bonne idée. En plus, faudrait que je sois là avant deux semaines.
Marie-Ange pis Rose ont commencé à travailler à la Acme, pis ça se voyage mal.
Pis je sais pas si c’est une bonne idée de faire la classe à mes propres
enfants. C’est pas que je serais pas capable, mais je risquerais d’être encore
plus sévère avec eux autres. Ça pourrait leur enlever le goût d’apprendre. Pis…
– Vous avez plein de bonnes raisons,
Émilie. Mais je vous ai dit que j’avais des bonnes nouvelles. Émilien,
Paul et Clément pourront aller au collège. Blanche, elle, c’est tout arrangé, a
été acceptée comme pensionnaire au couvent. Ça fait que, dans votre classe,
vous allez avoir Jeanne. C’est tout. Jeanne va pouvoir aider Alice à s’occuper
de Rolande.
– Voyons donc ! Pensez-vous qu’une
petite fille de pas tout à fait quatre ans peut s’occuper d’un bébé ?
– Non. C’est la raison pour laquelle
c’est important que vous ayez moins d’enfants avec vous.
Émilie hocha la tête. Non. C’était une idée
ridicule. Lui demander de se séparer de ses enfants ! N’en garder que
trois ! Mais quel genre de mère croyait-il qu’elle était ? Se séparer
de ses enfants ! Jamais.
– Je vous suis reconnaissante, monsieur
le curé, mais c’est pas possible.
Le curé Grenier invita Émilie à marcher avec
lui, question de pouvoir discuter plus facilement. Il lui expliqua que Rose et
Marie-Ange, avec leur salaire, pourraient facilement payer une pension tout en
en donnant une généreuse portion à leur mère. Il était même prêt à prendre Rose
au presbytère moyennant quelques légers travaux. Quant à Marie-Ange, elle
pouvait loger chez des cousins des Pronovost. Si elle le préférait, Émilien
pourrait être externe au collège. Il était assez grand pour s’y rendre en calèche
ou en carriole et revenir le soir aider sa mère avec les corvées. Paul et Clément,
eux, seraient pensionnaires.
– Pas Paul !
– Et pourquoi pas ?
– Parce que sa santé m’inquiète. Paul est
toujours faible, toujours malade. J’aimerais mieux que Paul reste avec moi.
Paul a du talent pis il aime travailler. Ça fait que si j’exige beaucoup de
lui, il va faire ce que je demande, parce que Paul a de l’ambition.
– Paul ou vous ?
– Mettons les deux…
Le curé reprit donc le problème différemment.
Si Paul ne pouvait être pensionnaire avec Clément, il serait peut-être bon que
Clément, qui n’avait que sept ans, ne soit pas seul au collège. Il demanda à
Émilie si les Pronovost pouvaient le prendre en pension. Émilie lui dit qu’elle
y réfléchirait. Le curé enchaîna en parlant de Blanche. Émilie sourit. Blanche
au couvent. Oui. C’était, à son avis, la seule vraie bonne nouvelle que le curé
lui avait apportée. Mais elle se rembrunit. Le couvent coûterait trop cher, et
il ne semblait pas saisir que sa situation financière était
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