Le dernier royaume
dieu a
une mère, n’est-ce pas ?
— Marie, répondis-je en le suivant tandis qu’il
fouillait le monastère.
— Je me demande si son enfant est venu au monde en
trois morceaux, poursuivit-il. Alors, comment se nomme ce dieu ?
— Je ne sais pas. (Je savais qu’il avait un nom, car
Beocca me l’avait dit, mais je ne m’en souvenais pas.) Les trois ensemble forment
la Trinité, continuai-je, mais ce n’est pas le nom du dieu. Généralement, ils
l’appellent simplement Dieu.
— C’est comme appeler « chien » un chien,
déclara Ragnar, qui se mit à rire. Et qui est Jésus ?
— L’un des trois.
— Celui qui est mort, c’est cela ? Et qui est
revenu à la vie ?
— Oui, murmurai-je, craignant soudain que le dieu
chrétien m’observe et me prépare un terrible châtiment pour mes péchés.
— Les dieux savent faire cela, dit Ragnar d’un ton
désinvolte. Ils meurent, reviennent à la vie. Ce sont des dieux. (Il me scruta,
sentant ma crainte, et m’ébouriffa les cheveux.) Ne t’inquiète point, Uhtred,
le dieu chrétien n’a nul pouvoir ici.
— Vraiment ?
— Que non ! affirma-t-il en trouvant dans
l’appentis derrière le monastère une serpe en bon état qu’il glissa à sa
ceinture. Les dieux se battent entre eux ! Tout le monde le sait. Regarde
les nôtres ! Ases et Vanes se sont battus comme chien et chat avant de
devenir amis. Les dieux se battent, continua gravement Ragnar, et certains sont
victorieux comme d’autres sont défaits. Le dieu chrétien est présentement
vaincu. Sinon, pourquoi serions-nous ici ? Pourquoi vaincrions-nous ?
Les dieux nous récompensent si nous les respectons, mais le dieu chrétien
n’aide pas ses fidèles, n’est-ce pas ? Ils pleurent des rivières de larmes
pour lui, le prient, lui donnent leur argent, et nous, nous arrivons et les
massacrons ! S’il avait le moindre pouvoir, nous ne serions point là,
n’est-ce pas ?
Pour moi, c’était d’une logique implacable. À quoi bon
adorer un dieu qui ne vous aidait point ? Les adorateurs de Thor et d’Odin
étaient victorieux, c’était incontestable, et je touchai subrepticement le
marteau de Thor qui pendait à mon cou alors que nous retournions à la Vipère. Nous laissâmes Gegnesburh ravagée, ses habitants éplorés et ses
greniers vidés, et poursuivîmes notre chemin sur la large rivière, la cale de
notre navire remplie de grain, de pain, de viande salée et de poisson fumé.
Plus tard, bien plus tard, j’allais apprendre qu’Ælswith, la femme du roi Alfred,
était originaire de Gegnesburh. Elle déplorait souvent le saccage de la ville.
Dieu, déclarait-elle, se vengerait des païens qui avaient ravagé le lieu de son
enfance, et il me sembla sage de ne point lui avouer que j’avais été de
ceux-là.
Nous achevâmes notre périple devant une ville bien plus
vaste que Gegnesburh, nommée Snotengaham, ce qui signifie « le foyer de
ceux de Snot ». Cependant, sa garnison avait fui et ceux qui restaient
accueillirent les Danes avec des monceaux de vivres et d’argent. Un cavalier
avait dû avoir le temps de rallier Snotengaham et d’annoncer que Gegnesburh
était tombée. Les Danes aimaient que de tels messagers répandent la peur avant
leur venue. C’est ainsi que cette cité, malgré ses murailles, tomba sans coup
férir.
Certains des équipages des navires reçurent l’ordre de
garder les remparts, tandis que d’autres pillaient les alentours. Ils
cherchaient d’autres chevaux et, lorsque les troupes de guerre furent montées,
elles purent aller encore plus loin pour voler, piller et incendier.
— Nous allons rester ici, me déclara Ragnar.
— Tout l’été ?
— Jusqu’à la fin du monde, Uhtred. C’est une terre
dane, désormais.
Au terme de l’hiver, Ubba et Ivar avaient envoyé trois
navires au Danemark pour rallier des Danes, et de nouveaux vaisseaux
commencèrent à arriver les uns après les autres, charriant hommes, femmes et
enfants. Les nouveaux arrivants choisissaient les maisons qu’ils désiraient, à
l’exception de quelques-unes appartenant aux dignitaires merciens qui s’étaient
inclinés devant Ivar et Ubba. L’un d’eux était l’évêque, qui prêchait à ses
ouailles que les Danes avaient été envoyés par Dieu. Il ne disait jamais
pourquoi, et peut-être l’ignorait-il ; mais grâce à ses sermons, sa femme
et ses enfants étaient encore en vie, sa maison intacte, et l’église avait pu
conserver
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