Le dernier royaume
de Thor. Je le jure. Et je suis dane, à présent ! Tu me l’as
dit ! Tu as dit que j’étais dane !
Ragnar s’agenouilla pour me regarder droit dans les yeux.
— En es-tu vraiment un ?
— Je suis dane, répétai-je, et j’étais sincère.
Parfois, j’étais persuadé d’être un sceadugengan secrètement dissimulé parmi les Danes, et en vérité, je ne savais plus trop
moi-même qui j’étais. J’aimais Ragnar comme un père, j’avais de l’affection
pour Ravn, je jouais, je faisais la course et luttais avec Rorik quand il était
bien portant, et tous me traitaient comme l’un des leurs.
— Je suis dane, insistai-je d’un ton véhément. Qui
mieux que moi pourrait les espionner ? Je parle leur langue !
— Tu es un enfant, répéta Ragnar, mais je compris qu’il
s’habituait à cette idée. Personne ne soupçonnerait un enfant, murmura-t-il en
continuant de me regarder. (Puis il se leva et considéra de nouveau les
cadavres que dépeçaient les corbeaux.) Es-tu sûr de toi, Uhtred ?
— Je le suis.
— Je vais demander aux frères, dit-il.
Sans doute Ivar et Ubba donnèrent-ils leur consentement, car
Ragnar me laissa partir. La nuit venue, je me glissai au-dehors. Maintenant, songeai-je, je suis enfin une ombre qui marche, même si en vérité
cette expédition n’exigeait aucun don surnaturel en raison des nombreux feux de
camp des lignes ennemies qui me guidaient. Ragnar m’avait conseillé de
contourner le campement et de chercher une entrée plus facile par l’arrière,
mais je préférai me diriger droit vers les feux les plus proches, derrière les
arbres abattus qui servaient de mur aux Angles. Derrière ce sombre
enchevêtrement, je distinguai les formes noires des sentinelles qui se
découpaient sur les flammes. J’étais inquiet. Moi qui caressais depuis des mois
le projet de devenir un sceadugengan, voilà que je me trouvais au cœur
des ténèbres, non loin des deux cadavres décapités, au risque de subir un sort
identique.
Je pouvais entrer dans le camp et révéler qui j’étais, puis
exiger d’être conduit à Burghred ou à Æthelred afin de me mettre sous leur
protection ; pourtant, j’avais dit la vérité à Ragnar. Je rentrerais et
dirais ce que j’avais vu. Je l’avais promis, et pour un jeune garçon les promesses
sont sacrées et étayées par la crainte d’une vengeance divine. Je choisirais ma
tribu un jour, mais le moment n’était pas encore venu. Je traversai le champ à
pas feutrés. Je me sentais minuscule, vulnérable, mon cœur battait la chamade
et mon âme flamboyait de l’importance de ma tâche.
À mi-chemin, je sentis les poils se hérisser sur ma nuque.
Étais-je suivi ? Je me retournai, tendis l’oreille et scrutai la nuit,
mais je ne vis que des formes noires frémissant dans l’obscurité. Comme un
lièvre, je fis un bond de côté, m’accroupis brusquement et tendis de nouveau
l’oreille. Cette fois, je fus sûr d’avoir entendu des pas dans l’herbe.
J’attendis en guettant, en vain, puis je continuai jusqu’à la barricade des
Merciens où j’attendis de nouveau. Au bout d’un moment, je jugeai que mon
imagination m’avait joué un tour. Je m’étais inquiété de ne pouvoir traverser
leur muraille, mais ce fut finalement assez simple, car un gros arbre abattu
laisse suffisamment d’espace pour qu’un enfant se faufile entre ses branches.
J’entrai en courant dans le camp et fus aussitôt repéré par une sentinelle.
— Qui es-tu ? aboya l’homme dont la lance pointée
vers moi luisait dans la lumière d’un feu.
— Osbert, dis-je, utilisant mon ancien nom.
— Un enfant ? s’étonna l’homme.
— Je voulais pisser.
— Par l’enfer, mon garçon, pourquoi ne point pisser
devant ton campement ?
— Cela ne sied point à mon maître.
— Et qui est-il ?
L’homme avait relevé sa lance et me scrutait dans la faible
clarté des flammes.
— Beocca, dis-je, donnant le premier nom qui me vint à
l’esprit.
— Le prêtre ?
Surpris, j’hésitai, puis hochai la tête. Ma réponse eut
l’heur de le satisfaire.
— Tu ferais mieux de le rejoindre, dit-il.
— Je suis perdu.
— Tout ce chemin pour pisser devant mon poste de
garde ! C’est là-bas, mon garçon, dit-il en tendant le bras.
Je traversai donc librement le camp, passai devant les feux
mourants d’où s’élevaient des gerbes d’étincelles et les petits abris où
ronflaient les soldats. Deux chiens
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