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Le dernier royaume

Le dernier royaume

Titel: Le dernier royaume Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernard Cornwell
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bien sûr, car nous l’y forcerons, et
il appellera à la rescousse ses amis du Wessex, mais au fond de son cœur faible
il sait qu’il ne peut gagner.
    — Comment en es-tu si sûr ? demanda Rorik.
    — Tout l’hiver, mon garçon, sourit Ravn, nos marchands
sont allés en Mercie. Pour vendre peaux et ambre, acheter malt et minerai de
fer, ils ont parlé et écouté et sont revenus nous le narrer.
    Qu’on tue les marchands ! songeai-je.
    Pourquoi pensais-je cela ? J’aimais bien Ragnar. Bien
plus que je n’avais aimé mon père. J’aurais dû périr, mais Ragnar m’avait
sauvé, gâté, traité comme un fils et appelé Dane. J’aimais bien les Danes, mais
même à cette époque je savais que je n’en étais point un. J’étais Uhtred de
Bebbanburg et je m’accrochais au souvenir de la forteresse dominant la mer, des
oiseaux qui criaient au-dessus des vagues, des macareux tournoyant dans les
embruns, des phoques sur les rochers et de l’eau blanche qui se fracassait sur
les falaises. Je me rappelais les gens de cette terre, les hommes qui
appelaient mon père « seigneur », mais qui lui parlaient de leurs
cousins communs. Tel était et tel reste encore Bebbanburg pour moi : mon
foyer. Ragnar m’aurait donné la forteresse si elle n’avait été imprenable, mais
en ce cas je n’aurais pas mieux valu que le roi Egbert qui n’était pas un
souverain, mais un chien dorloté tenu en laisse. Ce qu’un Dane donne, il peut
le reprendre, et je voulais gagner Bebbanburg au prix de mes propres efforts.
    Savais-je tout cela à onze ans ? En partie, je crois.
C’était dans mon cœur, indistinct, informulé, mais solide comme le roc. À
mesure que le temps passerait, ce serait enfoui, à demi oublié et souvent
contredit, mais cette certitude y demeurerait. La destinée est tout, aimait me
dire Ravn, et il me le disait souvent en angle : Wyrd bið ful årœd.
    — À quoi penses-tu ? me demanda Rorik.
    — Je me disais que ce serait agréable de nager.
    Les rames plongeaient dans l’eau et la Vipère glissait vers la Mercie.
     
    Le lendemain, une petite troupe nous attendait. Les Merciens
avaient renversé dans la rivière des troncs d’arbres qui rendraient difficile
pour nos rameurs le passage entre les branchages emmêlés. À proximité de ce
barrage se tenaient une centaine de Merciens, des archers et des hommes armés
de javelots, tenant en joue nos rameurs. Les autres avaient formé un mur de
boucliers sur la rive orientale. Ragnar éclata de rire. Cela aussi, je l’avais
appris : l’allégresse avec laquelle les Danes affrontaient la bataille.
Ragnar, au gouvernail, poussa un hurlement de joie en guidant le navire vers la
rive, suivi des autres vaisseaux, tandis que les cavaliers qui nous
accompagnaient sautaient de selle en vue du combat.
    Depuis la proue de la Vipère, je regardai les
équipages se précipiter à terre et endosser leurs cottes de cuir ou de mailles.
Que voyaient ces Merciens ? Des jeunes gens aux cheveux et barbes hirsutes
et aux visages avides, des hommes qui se jetaient dans la bataille comme sur
une maîtresse qu’on étreint. Le mur de boucliers mercien ne resta pas longtemps
en place et, une fois que les soldats eurent compris qu’ils succomberaient sous
le nombre, ils s’enfuirent sous les quolibets hurlés par les hommes de Ragnar.
    Il fallut quelques heures pour dégager la rivière, et nous
nous remîmes en route. Cette nuit-là, les navires se rassemblèrent le long de
la rive, on alluma des feux à terre, des hommes furent postés en sentinelles et
tous les guerriers dormirent en gardant leur arme à portée de main ; mais
personne ne nous dérangea, et à l’aube nous repartîmes et atteignîmes bientôt
une ville aux épais talus de terre couronnés de hautes palissades. Ragnar
estima qu’il s’agissait de la place forte que les Merciens avaient tenté de défendre ;
comme nul soldat ne se montrait aux remparts, il accosta et emmena ses hommes
vers la ville.
    Talus et palissades étaient en bon état : Ragnar se
félicita que la garnison locale ait été envoyée à la rivière plutôt que
cantonnée derrière d’aussi bonnes défenses. Les soldats merciens s’étaient
manifestement enfuis vers le sud, car les portes étaient ouvertes et une
poignée d’habitants agenouillés tendaient les mains en implorant notre merci.
Trois moines inclinaient leurs têtes tonsurées.
    — Je déteste les moines ! déclara Ragnar d’un ton
jovial, en

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