Le dernier templier
profit des charges plus pittoresques que vous savez. De manière très compréhensible, plutôt que d’utiliser cet argument pour abattre l’Ordre, le pape et le roi de France — qui, après tout, avait été oint par Dieu et voulait prouver qu’il était le plus chrétien des souverains — ont préféré oublier que leurs champions avaient pu fraterniser avec les païens. Ils disposaient d’assez de munitions contre eux. Mais, en réalité, les Templiers ne s’étaient pas contentés d’échanges de vues mystiques. C’était beaucoup plus pragmatique. Ils avaient planifié quelque chose d’incroyablement osé, et d’une très grande portée. Un acte fou peut-être, mais qui était aussi une démonstration de bravoure et de clairvoyance.
Vance marqua une pause, ému par l’idée même qu’il venait d’évoquer.
— Ils prévoyaient, annonça-t-il, d’unifier les trois grandes religions.
Il regarda les montagnes qui les cernaient et leva les mains.
— L’unification des trois. Représentez-vous ça. Les chrétiens, les juifs et les musulmans. Tous unis dans une seule foi. Et pourquoi pas ? Nous adorons tous le même Dieu, après tout. Nous sommes tous les enfants d’Abraham, non ? se moqua-t-il.
Son expression se durcit.
— Réfléchissez-y. Imaginez dans quel monde nous vivrions si c’était le cas. Un monde infiniment meilleur... Pensez à toutes les peines et à toutes les effusions de sang que nous aurions évitées au cours des siècles. Et aujourd’hui plus que jamais. Des millions de gens auraient été épargnés et ne seraient pas morts de façon absurde. Pas d’Inquisition, pas de Shoah, pas de guerre dans les Balkans ou au Proche-Orient, pas d’avions s’écrasant sur des gratte-ciel...
Une expression de malice fugitive se peignit sur ses traits.
— Vous n’auriez plus de travail, agent Reilly.
L’esprit de celui-ci bouillonnait. L’agent fédéral essayait de donner du sens à ces révélations. Était-ce possible... ? Il repensa à ses conversations avec Tess à propos des neuf années que les Templiers avaient passées reclus dans le Temple, de leur rapide ascension, de leur pouvoir et de leur richesse, de la citation latine dont lui avait parlé la jeune femme.
Veritas vos liberabit.
La vérité vous rendra libres.
Il leva les yeux vers Vance.
— Vous pensez qu’ils faisaient chanter l’Église ? Vous pensez que le Vatican a laissé les Templiers se développer à ses dépens ?
— Il avait une peur bleue des chevaliers. Il n’avait pas le choix.
— Mais... à cause de quoi ?
Vance fit un pas en avant, tendit la main et posa le doigt sur le crucifix qui pendait au cou de Reilly, dans le V formé par la fermeture à glissière ouverte de la combinaison de plongée. Soudain, le professeur arracha la croix. Il fixa avec des yeux méprisants le petit objet qu’il tenait dans sa main. Puis son regard devint glacial.
— À cause de la vérité qu’ils avaient découverte sur cette fable.
63
Les mots tranchants de Vance restèrent suspendus au-dessus d’eux.
Ses pupilles semblaient animées d’une vie propre. Il toisait rageusement le petit crucifix brillant qu’il tenait au creux de sa paume.
— Stupéfiant, n’est-ce pas ? Nous sommes ici, deux mille ans plus tard, avec tout ce que nous avons accompli, tout ce que nous savons, et pourtant ce petit talisman continue de gouverner la vie de milliards d’individus... et leur mort.
Assis dans sa combinaison mouillée, Reilly se sentit mal à l’aise. Il risqua un coup d’oeil vers Tess. Elle regardait Vance avec une expression concentrée qu’il ne put déchiffrer.
— Comment savez-vous cela ? demanda-t-elle, hésitante.
Vance quitta la croix de Reilly des yeux pour se tourner vers elle.
— Grâce à Hugues de Payens, le fondateur des Templiers. Quand j’étais dans le sud de la France, j’ai découvert un détail sur son compte qui m’a étonné.
Tess se rappela soudain les commentaires ironiques de l’historien français.
— Qu’il venait du Languedoc... et qu’il était cathare ?
Les sourcils de Vance se soulevèrent et il inclina la tête, impressionné.
— Tu as fort bien fait ton travail. Je n’en doutais pas.
— Mais cela n’a pas de sens, rétorqua-t-elle. A l’origine, les Templiers sont venus en Terre sainte pour escorter les pèlerins chrétiens.
Vance ne se départit pas de son sourire, mais son ton se fit plus tranchant.
— Ils sont
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