Le dernier templier
du musée était déjà rempli d’hommes aux cheveux poivre et sel et de femmes vertigineusement chics. Cravate noire et robe longue de rigueur ! En regardant autour d’elle, Tess fut gênée. Elle se sentait en décalage : d’abord à cause de son « élégance » minimaliste, mais aussi parce qu’elle détestait l’idée que l’on puisse croire qu’elle appartenait à cette foule — une masse pour laquelle elle n’éprouvait aucune sympathie.
Il y avait pourtant une chose dont Tess n’avait pas conscience. Si les gens la regardaient, ce n’était pas parce qu’ils la jugeaient quelconque dans sa petite robe noire qui flottait à quelques centimètres au-dessus des genoux, ni parce qu’ils sentaient son malaise à l’idée d’assister à un événement d’une extrême platitude. Les gens la remarquaient, tout simplement. Cela avait toujours été le cas. Et qui leur en aurait voulu ? Ses somptueuses boucles blondes encadraient des yeux verts pétillants d’intelligence. Respirant la santé, sa silhouette, ses enjambées fluides et décontractées ajoutaient à sa séduction, ainsi que le fait qu’elle soit inconsciente de son charme. Malheureusement, en matière d’hommes elle était toujours tombée sur de mauvais numéros. Elle avait même fini par épouser le dernier de cette triste série, erreur à laquelle elle avait mis un terme.
Elle s’avança dans la salle principale. Le bourdonnement des conversations se répercutait sur les murs dans un grondement sourd. Apparemment, l’acoustique n’avait pas été une préoccupation majeure lors de la conception du musée. À distance, Tess pouvait percevoir les échos d’une musique de chambre. Elle se laissa guider par ce filet de notes pour découvrir un petit quatuor féminin coincé dans un angle. Les musiciennes s’acharnaient avec énergie sur leurs instruments, mais elles demeuraient presque inaudibles. Tess dépassa les expositions permanentes de fleurs fraîches de Lila Wallace et la niche d’où la sublime terre cuite d’Andréa délia Robbia représentant la Vierge et l’Enfant Jésus observait la foule. Ce soir, elle avait de la compagnie, car les trésors du Vatican comprenaient de nombreuses représentations de la Madone et de l’Enfant.
Presque tous les objets étaient protégés par des vitrines. Un simple coup d’oeil permettait de constater que bon nombre étaient de très grande valeur. Même pour une agnostique comme Tess, ils étaient impressionnants, voire bouleversants. Alors qu’elle quittait le grand escalier pour pénétrer dans la première salle d’exposition, son coeur se mit à battre plus fort à l’idée de ce qu’elle allait voir.
Des objets d’autel en albâtre provenant de Bourgogne et représentant des scènes de la vie de saint Martin ; des profusions de crucifix, la plupart en or massif et incrustés de pierres précieuses. L’un d’eux, une croix du XII e siècle, était en réalité une défense de morse dans laquelle on avait sculpté des centaines de personnages. Il y avait des statuettes de marbre et des reliquaires de bois gravés. Même vidés de leur contenu originel, ces coffrets demeuraient de superbes exemples d’artisanat. Un lutrin de bronze figurant un aigle en gloire se dressait près d’un exceptionnel chandelier espagnol de six pieds de haut qui avait été emprunté aux appartements du pape.
La plupart des objets qu’elle avait devant les yeux étaient d’une telle qualité qu’elle n’aurait jamais osé espérer les exhumer pendant ses années sur le terrain. Certes, il s’était agi d’années stimulantes et, dans une certaine mesure, enrichissantes et gratifiantes. Elles lui avaient offert la possibilité de voyager à travers le monde et de s’immerger dans différentes cultures. Certaines des curiosités qu’elle avait déterrées étaient maintenant exposées aux quatre coins du monde. Mais rien de ce qu’elle avait découvert n’était assez remarquable pour honorer de sa présence l’aile Sackler d’art égyptien ou l’aile Rockefeller d’art primitif {3} .
« Peut-être... peut-être que si je m’étais accrochée un peu plus longtemps... »
Elle repoussa cette pensée. Cette vie, elle en était consciente, se trouvait maintenant derrière elle.
Pour le Met, accueillir cette exposition avait été un coup de maître : quasiment aucun des objets n’avait été exposé auparavant.
Et pourtant tous n’étaient pas faits d’or ou
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