Le fantôme de la rue Royale
substance si dangereuse ?
— Qu’on ne compte pas sur moi pour trahir la confiance de mes maîtres, bougonna la cuisinière.
— Mauvaise réponse, Marie Chaffoureau. Alors, qui de Camille ou de Catherine Galaine ?
— Y avait un papier à l’office.
— Et où se trouve ce papier ?
— Je l’ai jeté dans le potager ; il n’est plus que cendres.
On s’enfonçait de plus en plus dans les arguties de témoins qui pouvaient être des coupables et qui compliquaient à plaisir la marche de la justice. Nicolas s’éloigna du banc des témoins et resta un moment à contempler les deux mannequins et les pièces à conviction : papiers, objets, vêtements, robe, corsage et corset. Il réfléchit soudain au fait qu’on n’avait pas retrouvé les chaussures d’Élodie Galaine. Il se rendit compte que la perruque de M. de Sartine oscillait dangereusement d’avant en arrière, signe, chez son porteur, de grande irritation. Il écarta cette vision et s’attacha à chaque pièce.
C’est alors que le jour se fit. Oui, cela pouvait être le chemin de la vérité, sauf à tomber, par une coïncidence insensée, sur deux cas identiques. Une voix lui répétait le témoignage opportunément resurgi et qui ne laissait plus aucun doute. Il vit nettement le moyen à utiliser, risqué, certes, mais décisif. Comme toutes les démarches ultimes, celle-ci s’apparenterait à une espèce de jeu. Cela ne réglerait pas tout, mais un grand pas aurait été fait. Nicolas redressa la tête et appela Bourdeau qui s’approcha. Il lui parla à l’oreille, l’autre acquiesça et sortit aussitôt de la salle d’audience. En attendant son retour et pour occuper la galerie, Nicolas devait continuer à interroger les témoins, resserrer peu à peu le cercle des questions, sans éveiller par trop leur méfiance. Le lieutenant général interrompit sa réflexion.
— Allons-nous attendre longtemps, monsieur le commissaire, les conclusions de ces pauses par lesquelles vous trouvez bon d’interrompre le cours languissant de cette comparution ? Je suspends les débats quelques instants. Le lieutenant criminel et moi-même souhaitons vous entretenir sur-le-champ dans mon cabinet.
Les deux magistrats sortirent par le fond de la salle, où un petit couloir conduisait au cabinet de Sartine ; Nicolas les suivit. À peine entré, son chef, qui faisait les cent pas, l’apostropha sur le ton froid et concentré qu’il affectionnait quand il maîtrisait une colère.
— Il ne suffit pas, monsieur le commissaire, de nous livrer des développements qui ne mènent à rien, avec ces flacons, cet Indien qui divague et tous ces propos insensés. Chaque suspect est un coupable ou un innocent en puissance. Or, jusqu’à présent l’obscurité domine dans votre présentation des éléments disparates de cette affaire. Où nous conduisez-vous ?
— Oui, appuya le lieutenant criminel, où nous conduisez-vous ? Je vous croyais plus prompt, monsieur : vous me décevez. Voilà bien les aléas d’une procédure détournée. Ah ! je déplore les circonstances et les pressions qui m’ont incité…
M. de Sartine, excédé, lui coupa la parole.
— M. Testard du Lys parle d’or. Ou vous aboutissez céans et dans l’heure qui suit, ou nous renvoyons ces gens au cachot et engageons une procédure plus convenue et peut-être plus efficace.
— Messieurs, dit Nicolas, je suis désormais assuré d’aboutir.
M. de Sartine le considéra avec un rien d’attendrissement.
— Eu égard à votre passé, je veux bien vous croire. Retournons en séance.
XII
DÉNOUEMENT
À l’inattendu les Dieux livrent passage.
Euripide.
L’audience extraordinaire avait repris son cours. Nicolas s’approcha du banc des suspects après avoir noté au passage que Bourdeau n’était pas encore revenu.
— Je souhaite examiner à nouveau l’emploi du temps de certains membres de la famille Galaine, déclara-t-il d’emblée.
Il arrêta sa déambulation devant Camille et Charlotte.
— Vous confirmez bien, fit-il en s’adressant à Camille, n’être pas sortie dans la soirée du 30 au 31 mai ?
— En effet, monsieur le commissaire, et d’ailleurs le chat…
— Non, pas le chat, mademoiselle. C’est de vous qu’il s’agit et de deux assassinats.
Le petit visage exsangue semblait s’étrécir encore davantage sous l’émotion. Elle cherchait le regard de sa sœur aînée qui tournait la tête de l’autre côté. Nicolas
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