Le fantôme de la rue Royale
consulta son petit carnet.
— Toutes deux m’avez déclaré que vous avez aidé votre nièce à s’habiller pour la soirée, du fait…
Elles approuvèrent avec un ensemble confondant.
— …que vous trouviez sa tenue trop claire !
— Il nous semblait, dit Camille.
— Et ainsi, vous l’avez laissée sortir seule au bout du compte ?
— Non, pas seule, dit Charlotte. Avec la pauvre Miette, qui l’accompagnait.
— Il est bien triste, remarqua Nicolas, que son état ne permette pas à la pauvre fille de confirmer vos dires.
Il fit quelques pas vers le commis.
— Monsieur Dorsacq, il faut m’aider. Cette fameuse dette de jeu pour laquelle vous avez mis des objets en gage, vous avez bien reçu un billet en échange ? C’est la règle.
— Je ne sais… Oui… Certes…
— Bon. À qui l’avez-vous remis ?
— Je l’ignore.
— Mais si, vous le savez très bien. Il se trouve que, moi, je l’ai récupéré. Il a été remis à la personne qui, contrairement à vos dires, vous a confié le soin de porter ces vêtements chez le fripier de la rue du Faubourg-du Temple. Me direz-vous à la fin le nom de cette personne, ou voulez-vous que le bourreau tranche le problème par une question ordinaire prévue par la procédure commune à l’intention des prévenus d’homicide ?
— Monsieur le commissaire, je suis au désespoir…
— Allons, allons, prenez sur vous et accomplissez un dernier petit effort pour être sincère.
— J’ai été contraint.
— Quand on est contraint, c’est qu’une pression s’exerce sur vous. Qui vous menaçait et pour quelle raison ?
Le jeune homme semblait sur le point de pleurer.
— Je me suis quelque peu diverti avec la Miette, lâcha-t-il enfin.
— Qu’est-ce à dire, monsieur ?
— Je crains, hélas, qu’elle ne soit grosse de mes œuvres.
— Vous l’aimiez ? Quelles étaient vos intentions ?
— Aucunement. Je m’amusais avec elle.
— En aimiez-vous une autre ?
— Non pas.
— Si. Vous espériez, par désir ou par lucre, séduire Élodie Galaine. Allons, avouez-le. C’est sans doute pour avoir été dédaigné et par jalousie et fureur de voir échapper la chance d’entrer dans cette famille que vous en êtes venu à la vouloir supprimer.
Dorsacq prit sa tête à deux mains et la secoua avec frénésie.
— Non, non ! Jamais.
— Alors, qui vous faisait chanter ? Qui ? Qui ?
— Mlle Charlotte.
— Comment cela, Mlle Charlotte ? Et sous quel prétexte ? Expliquez-vous.
— Elle est venue me voir le jeudi matin dans la boutique. J’avais erré toute la nuit. Je n’avais pas trouvé Élodie, à qui je voulais parler. J’étais furieux et humilié. Mlle Charlotte m’a dit ce que je devais faire avec les vêtements, les chapeaux et le flacon. Les porter chez un fripier, les mettre en gage et lui rapporter le billet.
— Oui, ainsi ils étaient soustraits à toute investigation, mais pouvaient reparaître en cas de besoin. Mais comment a-t-elle pu vous contraindre à cette démarche ?
— Elle savait pour moi et la Miette. Elle a menacé de tout révéler à M. Galaine et de me faire chasser si je n’obtempérais point. Dans le cas contraire, elle userait de son influence afin de me faire accepter comme prétendant de sa nièce Élodie. Je ne sais comment elle avait pu connaître ma situation.
— Moi, je sais, dit Nicolas. Un témoin, trop jeune pour comparaître, mais qui est l’esprit de la maison Galaine, circule partout, ne cesse d’écouter aux portes, fouille meubles et tiroirs. Ce témoin-là — Geneviève Galaine pour ne la point nommer — répète et révèle à son père quelques fois, à ses tantes toujours, ce qu’elle entend et ce qu’elle recueille. Par elle, tout se sait, tout se détruit, tout se corrompt et, de son innocence, naît le crime. Mais nous avançons. Charlotte Galaine, reconnaissez-vous avoir exercé un chantage sur le commis de la boutique ?
Ce fut Camille qui répondit.
— Non, dit la petite femme précipitamment, ce n’était pas un chantage. Je vais tout vous conter. J’allais vous le dire l’autre matin, mais vous n’écoutez pas, vous interrompez. Les chats…
— Ah ! non ! Pas les chats.
— Si fait : la nuit tous les chats sont gris.
— Et alors ?
— Le soir de la fête, notre crainte à ma sœur et à moi-même, c’était le trop-plein de galants qui pouvaient importuner notre nièce. Alors…
Elle
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