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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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l’enveloppa dans son mouchoir. Bourdeau revenait avec deux porteurs et un brancard.
    La fatigue les submergea alors qu’ils scrutaient le visage convulsé de la jeune victime. Il n’était plus question d’aller se restaurer chez la Paulet. Le soleil qui se levait sur cette matinée de sang et de deuil ne parvenait pas à dissiper la brume humide d’un temps d’orage. Paris était sans contours et sans consistance ; il semblait avoir peine à se réveiller d’un drame qui, de proche en proche, gagnerait la ville et la Cour, frapperait quartiers et faubourgs et assombrirait, à Versailles, le réveil d’un vieux roi et d’un couple d’enfants.

II
    SARTINE ET SANSON
    Sic egesto quidquid turbidum redit urbi sua forma legesque et munia magistratuum.
    Ainsi vidée de sa turbulence, la ville reprend sa forme habituelle, ses lois et ses magistrats avec leur charge.
    Tacite

    Jeudi 31 mai 1770
    Nicolas traversait une ville figée et étonnée elle-même de se sentir souffrir. Chacun colportait une version différente de l’événement. De petits groupes conversaient à voix basse. Certains, plus bruyants, paraissaient poursuivre une querelle commencée depuis longtemps. Les boutiques, d’habitude ouvertes à cette heure, demeuraient closes comme si elles participaient du deuil général. La mort avait frappé partout et le spectacle des blessés et des mourants ramenés à leur logis avait inondé Paris du bruit de la catastrophe, aggravé de toutes les fausses nouvelles qu’un pareil drame suscitait inévitablement. Le peuple semblait frappé par la coïncidence avec les réjouissances d’un mariage royal. Il augurait mal de tout cela et il discernait d’obscures menaces sur un avenir incertain. Nicolas croisa des prêtres portant le saint sacrement. Les passants se signaient, ôtaient leur chapeau ou s’agenouillaient devant eux.
    La rue Montmartre n’offrait pas le spectacle de son animation habituelle. Même l’odeur si apaisante et familière du pain chaud s’exhalant de la boulangerie qui occupait le rez-de-chaussée de l’hôtel de Noblecourt était dépouillée de ses sortilèges. Il la respira et se souvint aussitôt du remugle effrayant d’incendie mouillé et de sang qui planait sur la place Louis XV. Un officier du guet lui avait prêté une jument acariâtre qui renâclait et portait les oreilles en arrière. Bourdeau était resté sur place pour aider les commissaires des quartiers venus rapidement en renfort.
    Le premier mouvement de Nicolas avait été de galoper rue Neuve-Saint-Augustin, à l’hôtel de la lieutenance générale de police. Mais il savait trop bien que, en dépit de la gravité du moment, M. de Sartine n’aurait pas toléré qu’on se présentât à lui le visage noir de suie et le vêtement en bataille. Il avait souvent éprouvé l’apparente insensibilité d’un chef qui n’acceptait aucune faiblesse chez lui-même, afin d’éviter d’avoir à prendre en compte celles de ses subordonnés. Le service du roi passait avant tout, et le fait d’être blessé, moulu et crasseux n’accordait aucun avantage particulier. Au contraire, un tel oubli des convenances aurait plaidé en défaveur de quelqu’un qui eût osé se présenter de la sorte. Un tel dérangement constituait un mépris des formes qui ne témoignait, pour M. de Sartine, ni de courage ni de dévouement mais bien d’un laisser-aller indice de tous les dévergondages, désordres et dérangements que son office et sa raison d’être consistaient justement à prévoir et à réprimer.
    Sept heures sonnaient au clocher de Saint-Eustache quand Nicolas remit les rênes de sa carne à un jeune mitron qui bayait aux corneilles à la porte de la boulangerie. Il gagna aussitôt l’office où il trouva Catherine, sa servante, affalée et endormie près de son potager 9 . Elle ne s’était sans doute pas couchée et il imaginait fort bien qu’informée du drame, elle avait voulu l’attendre. La vieille Marion, cuisinière de M. de Noblecourt, que son âge dispensait des gros travaux, dormait de plus en plus tard, ainsi que Poitevin, le laquais. Il ne fit aucun bruit et alla se laver à la pompe de la cour du petit jardin, selon ses habitudes d’été. Il remonta dans sa chambre sur la pointe des pieds pour se changer et se coiffer. Il hésita un moment à prévenir l’ancien procureur, mais renonça devant la perspective d’un récit circonstancié et des mille questions qui s’ensuivraient.

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