Le fantôme de la rue Royale
s’acquérir des mérites auprès de lui en lui donnant un titre auquel il avait renoncé et qui ne lui était rien. La soirée passa comme un rêve et le récompensa de ses efforts. Le roi lui parla plusieurs fois en particulier avec cette ouverture bienveillante qui le faisait tant aimer de ses proches. Nicolas aurait souhaité faire partager son bonheur à la France entière. Quand il se retrouva dans la voiture de Sartine, il crut revivre une scène déjà vécue dix ans avant. Le lieutenant général de police qui, sous sa froideur courtoise, sentait les choses, sourit et lui dit à l’oreille :
— Puisse le destin nous offrir toujours de ces retours heureux de Versailles !
Nantes, 18 août 1770
Un long coup de sifflet suraigu accompagna la descente par Nicolas de l’échelle de coupée de L’Orion . Il s’arrêta un instant ; la yole qui devait le ramener à quai plongeait dans le flot au gré des vagues. Il choisit le moment où la plate-forme et le plat-bord étaient au même niveau pour sauter dans l’embarcation. Naganda, accoudé au bastingage, ses longs cheveux flottants dans le vent, agitait la main. Bientôt, un bosquet d’arbres d’un îlot de la Loire masqua le vaisseau.
Depuis la conclusion de l’affaire de la rue Saint-Honoré, les événements s’étaient précipités. Charlotte Galaine et Marie Chaffoureau, convaincues des crimes qui leur étaient reprochés, allaient bientôt, selon la procédure, subir le dernier interrogatoire avant jugement sur la « sellette d’infamie ». La rigueur des lois ne leur laissait aucune chance d’échapper à la potence après amende honorable. Les autres acteurs du drame avaient été mis hors cause. Charles Galaine sur lequel pesaient de lourdes présomptions de complicité, passive ou non, subit la question sans desserrer les dents. Il est vrai qu’il perdait connaissance avant même que le bourreau l’approchât et commençât son travail. Ses pairs de la corporation des marchands pelletiers s’étaient entremis et, faute de preuves, on le remit en liberté. Il s’était immédiatement embarqué pour la Suède où il comptait rattraper le fil de ses affaires et restaurer son négoce.
Mme Galaine, déshonorée, avait rompu tout commerce avec son époux et s’était retirée à Compiègne, dans un couvent. Le pécule amassé par sa coupable industrie lui avait ouvert les portes d’une retraite paisible où, à l’abri du monde, elle surveillerait l’éducation de sa fille. Aux interrogations et à la question, Camille Galaine avait opposé d’incohérents discours. Elle végétait désormais dans la maison de la rue Saint-Honoré. Son caractère étrange s’était accentué. Elle recueillait les chats par dizaines et, dans les fétides remugles de leurs déjections, elle parlait au démon, égarée dans sa solitude. La Miette ne paraissait pas devoir retrouver la raison, et son avenir se bornerait aux horreurs d’une maison de force. Dorsacq avait promis de reconnaître son enfant. Frappé d’une terreur superstitieuse par les événements extraordinaires de la maison Galaine, il se disait touché par une grâce efficace et souhaitait réparer sa légèreté.
Quant à Naganda, désormais libre, il avait choisi de regagner le Nouveau Monde afin de succéder à son père à la tête de la confédération des tribus micmac. M. de Sartine s’était étonné que Nicolas n’ait pas suffisamment poussé son avantage en pressant tout de suite l’Indien pour qu’il dévoile des informations qui, selon lui, auraient fait accélérer le dénouement de l’enquête. « Comment, s’était exclamé le lieutenant général, vous tenez sous la main un témoin essentiel et vous le laissez agir à sa guise dans une soupente dont il s’extrait à volonté, comme un chat de gouttière ! » Nicolas eut beau jeu de rétorquer que la procédure étant exceptionnelle et l’affaire baignant dans le déraisonnable et l’irrationnel, un suspect trop brutalement bousculé n’était pas forcément d’un bon rendement, et que sa présence dans la maison Galaine était un des éléments déterminants de l’alchimie compliquée des causes et des conséquences de ce drame domestique. Son chef consentit à en convenir en maugréant. Il ajouta avec un sourire acide un commentaire sibyllin dont Nicolas retint que « quoi qu’on fasse on reconstruit toujours le monument à sa manière ».
Par extraordinaire, le roi, qui n’oubliait rien et
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