Le fantôme de la rue Royale
grêle, la neige, la glace et l’esprit des tempêtes seront ta part de calice.
La Miette ahanait désormais comme une bête à bout de souffle, aux abois. Le père Raccard redoubla d’efforts. Il lui tendit le crucifix. Au fur et à mesure que l’objet sacré approchait de son visage, la servante s’enfonçait dans sa couche, sifflant et crachant comme un chat, en répandant une odeur infecte.
— Je t’exorcise, esprit immonde ! Sors de cette créature de Dieu ! Ce n’est pas moi, pécheur, qui te commande, mais l’agneau immaculé. Ils accourent, triomphants de toi, les archanges et les anges, les apôtres, les martyrs, les confesseurs et les vierges. Tes forces diaboliques s’effondrent. Rends à ta victime la force de ses membres et l’intégrité de ses sens. Ne surviens ni dans sa veille ni dans son sommeil et ne la trouble pas dans sa recherche de la vie éternelle. Satan maudit, reconnais ta sentence. Je te chasse et t’extirpe du corps de cette servante. Dieu tout-puissant, faites que ce corps obsédé du démon soit, par votre grâce, entièrement délivré dorénavant de la méchanceté diabolique. Par Jésus-Christ, Notre Seigneur, qui viendra juger les vivants et les morts et le siècle par le feu. Amen.
Le père Raccard, épuisé, se laissa aller en arrière contre le mur. Les assistants éprouvèrent comme le passage d’un souffle brûlant et fétide. Le carreau de la petite fenêtre éclata et le silence retomba sur la mansarde. La Miette reposait, apaisée, apparemment délivrée de l’oppression qui avait été son ordinaire depuis des jours. Les excrétions dont elle avait été couverte au paroxysme de sa crise disparaissaient comme évaporées. Nicolas nota que le tambour de Naganda avait cessé de battre de son rythme obsédant. La Miette bougea soudain, les yeux fermés. Le corps rigide, elle se leva et, sans un regard vers les trois hommes, ouvrit la porte, s’engagea sur le palier et descendit l’escalier. Nicolas saisit un bougeoir et se précipita à sa suite, engageant les autres à l’accompagner et marquant d’un doigt sur ses lèvres d’avoir à observer le plus grand silence. Il entendait éviter de troubler ce qui maintenant apparaissait comme une crise de somnambulisme, sans doute consécutive à la possession ou à ce qui en avait tenu lieu.
Ils ne croisèrent aucun membre de la famille, qui demeurait claquemurée dans ses chambres. Au rez-de-chaussée, la servante pénétra dans l’office et ouvrit une porte en demi-cintre de bois ajouré qui donnait sur un raide escalier. Ils se retrouvèrent tous dans une cave de belles dimensions, emplie de ballots de toile de jute qui devaient contenir, au jugé de l’odeur fauve qui accablait l’atmosphère, des peaux destinées au négoce de la maison Galaine. La Miette s’arrêta devant l’un d’eux, tomba à genoux et se mit à pleurer en joignant les mains comme si elle priait puis, brusquement, s’effondra inanimée. Le prêtre et Semacgus coururent lui porter secours. Nicolas poussa le ballot ; dessous, le sol en terre battue avait été récemment remué, sans doute creusé, puis aplani. Il se chercha un outil, mais ne trouva que son canif de poche. Il gratta la terre encore assez meuble à l’endroit suspect, avant d’en dégager quelques boisseaux avec ses mains. Ses doigts sentirent bientôt un morceau de tissu, et une odeur de décomposition s’exhala. Elle monta vers lui et surmonta l’âcre parfum des peausseries. Il poursuivit avec précaution son travail de dégagement pour mettre finalement au jour une petite masse oblongue et légère, enveloppée de chiffons : le corps déjà abîmé d’un nouveau-né, recroquevillé dans ses langes.
La Miette avait repris connaissance, mais selon Semacgus, toute raison s’en était échappée. Elle restait incapable de parler, et encore moins de répondre aux questions posées. Il fallait aviser, et jamais Nicolas n’était plus à l’aise que dans ces moments de désordre où un semblant de raison devait être rétabli dans un univers déconcerté. D’abord, le père Raccard reconduirait dans sa chambre la Miette, pour laquelle il n’y avait rien à faire dans l’immédiat. L’exorcisme avait réussi ; il fallait laisser reposer la malade plongée dans son marasme et s’en remettre à la douce pitié du Seigneur. Peut-être la raison lui reviendrait-elle. Semacgus examinerait le cadavre de l’enfant après les premières constatations ; il
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