Le faucon du siam
de choses à régler : l'invasion hollandaise, la condamnation des
Maures survivants, l'alliance avec la France, son mariage avec Maria, la
trahison de Sorasak. Cela faisait trois nuits qu'il ne dormait que par
intermittence, s'éveillant chaque fois baigné de sueur pour se trouver entouré
de navires de guerre hollandais ou prosterné devant Sorasak, couronné, qui le
condamnait, lui et les autres farangs, à un lent trépas.
« Je sais que c'est Sorasak qui était sur cette rivière,
affirma Phaulkon. Je l'aurais reconnu entre mille. »
Sunida le regarda avec compassion. Combien de fois
n'avait-il pas répété ces paroles? C'était devenu pour lui une obsession.
Constant persistait à accuser Sorasak d'avoir dirigé l'embuscade contre sa
troupe de farangs dans le méandre de la rivière et le général Petraja de ne pas
être intervenu plus tôt avec le gros de ses forces pour permettre aux Macassars
et à Sorasak de massacrer les farangs. Vingt-huit farangs avaient trouvé la
mort dans la bataille et Constant sentait gronder sa colère. Le général Petraja
avait été décoré de l'ordre de l'Éléphant blanc de première classe pour le rôle
qu'il avait joué dans la répression du soulèvement et, officiellement, on avait
accordé à Sorasak une citation royale du fait que tout son contingent avait été
anéanti après avoir fort malheureusement confondu, à la lueur incertaine de
l'aube, certaines des troupes combattant pour le roi avec des Macassars en
embuscade.
« Vous vous occuperez de Sorasak quand vous vous sentirez
mieux, mon Seigneur. À ce moment-là, il ne sera pas de taille à lutter contre
vous. Mais, pour l'instant, il vous faut du repos. Je vais vous donner encore
du thé. A propos, ajouta-t-elle avec fierté, pendant votre sommeil un messager
est venu de la part de Sa Majesté s'enquérir de votre santé. »
Phaulkon eut un pâle sourire : il débordait d'amour pour
elle. « Ne pars pas, Sunida. Reste avec moi. J'ai besoin de toi. Quelle bonté
de Sa Majesté d'avoir envoyé quelqu'un ! Et Maria, est-elle venue me voir? »
La nécessité d'une alliance avec la France se faisait
pressante. Sa Majesté avait accepté toutes les conditions; restait la question
du mariage catholique de Phaulkon. Les Jésuites étaient fermes sur ce point.
« Non, mon Seigneur, mais elle a envoyé un mot pendant
que vous dormiez. Je n'ai pas voulu vous réveiller. » Sunida s'approcha de la
table basse près de la fenêtre pour y prendre une lettre. Il l'ouvrit
rapidement et parcourut les mots en portugais.
Sunida lui caressa doucement le front, s'efforçant de
dissiper la tension qui lui serrait les tempes. Comme elle aimait cet homme !
Même s'il avait besoin d'épouser cette chrétienne pour réaliser cette alliance
avec l'autre puissance farang, il avait obstinément refusé de renoncer à elle.
Il n'y avait donc rien qu'elle ne fût prête à accomplir pour lui. Elle vit un
sourire de satisfaction s'épanouir sur son visage : la femme farang avait-elle
capitulé? Si cette fille voulait Constant, elle était stupide de ne pas lui
accorder sa main, songea Sunida. Elle n'aurait peut-être pas une seconde chance.
« Sunida, je vais te lire ce billet. » Il traduisit : «
Hâtez-vous de vous rétablir, mon Seigneur. Je préférerais ne pas épouser un
invalide. »
Sunida se mit à rire. « C'est vrai pour moi aussi, mon
Seigneur. Vous ne pourriez pas courir assez vite pour me rattraper. »
Phaulkon l'observa avec tendresse. « Sunida,
préférerais-tu vivre ici ou au palais? J'ai obtenu de Sa Majesté le roi la
permission de te loger là-bas si tu le souhaites. »
Elle réfléchit un moment. « Maintenant que vous êtes un
mandarin de première classe, mon Seigneur, je crois que je préférerais le
palais. Après tout, vous assisterez chaque jour aux conseils de Sa Majesté. »
Elle sourit. « Parfois deux fois par jour. Et j'ai le sentiment que, même si
votre épouse farang pouvait m'accepter — car elle tient à vous épouser et
comprend que vous ne voulez pas renoncer à moi —, elle pourrait changer d'avis
si nous nous retrouvions ensemble sous le même toit. Elle pourrait m'en vouloir
et essayer même de vous retourner contre moi. J'ai beau savoir que vous ne le
ferez pas, mon Seigneur, je souhaiterais néanmoins vous épargner tout
désagrément. »
En réalité, Sunida était ravie. Dès l'instant où elle
serait installée au palais, le dernier obstacle à son bonheur aurait disparu.
Elle
Weitere Kostenlose Bücher