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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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pas seulement la peau, mais les frusques d'un galonné de Guillaume. T'en fais pas : j'saurai bien goupiller ça avant que la guerre finisse.
    – Tu crois à la finition de la guerre, toi ? demande l'un.
    – T'en fais pas, répond l'autre.
    Cependant, il se produit un brouhaha sur notre droite, et, subitement, on voit déboucher un groupe mouvant et sonore où des formes sombres se mêlent à des formes coloriées.
    – Qu'est-ce que c'est qu'ça ?
    Biquet s'est aventuré pour reconnaître ; il revient, et nous désignant du pouce, par-dessus son épaule, la masse bariolée :
    – Eh ! les poteaux, v'nez mirer ça. Des gens.
    – Des gens ?
    – Oui, des messieurs, quoi. Des civelots avec des officiers d'état-major.
    – Des civils ! Pourvu qu'ils tiennent !
    C'est la phrase sacramentelle. Elle fait rire, malgré qu'on l'ait entendue cent fois, et qu'à tort ou à raison, le soldat en dénature le sens originel et la considère comme une atteinte ironique à sa vie de privations et de dangers.
    Deux personnages s'avancent ; deux personnages à pardessus et à cannes ; un autre habillé en chasseur, orné d'un chapeau pelucheux et d'une jumelle.
    Des tuniques bleu tendre sur lesquelles reluisent des cuirs fauves ou noirs vernis suivent et pilotent les civils.
    De son bras où étincelle un brassard en soie bordé d'or et brodé de foudres d'or, un capitaine désigne la banquette de tir, devant un vieux créneau, et engage les visiteurs à y monter pour se rendre compte. Le monsieur en complet de voyage y grimpe en s'aidant de son parapluie.
    Barque dit :
    – T'as visé l'chef de gare endimanché qui indique un compartiment de 1re classe, Gare du Nord, à un riche chasseur, le jour de l'ouverture : « Montez, monsieur le Propriétaire. » Tu sais, quand les types de la haute sont tout battant neufs d'équipements, de cuirs et de quincaillerie, et font leurs marioles avec leur attirail de tueurs de petites bêtes !
    Trois ou quatre poilus qui étaient déséquipés ont disparu sous terre. Les autres ne bougent pas, paralysés, et même les pipes s'éteignent, et on n'entend que le brouhaha des propos qu'échangent les officiers et leurs invités.
    – C'est les touristes des tranchées, dit à mi-voix Barque.
    Puis, plus haut : « Par ici, mesdames et messieurs ! » qu'on leur dit.
    – Débloque ! lui souffle Farfadet, craignant qu'avec « sa grande gueule » Barque n'attire l'attention des puissants personnages.
    Du groupe, des têtes se tournent de notre côté. Un monsieur se détache vers nous, en chapeau mou et en cravate flottante. Il a une barbiche blanche et semble un artiste. Un autre le suit, en pardessus noir, celui-là, avec un melon noir, une barbe noire, une cravate blanche et un lorgnon.
    – Ah ! ah ! fait le premier monsieur, voilà des poilus… Ce sont de vrais poilus, en effet.
    Il s'approche un peu de notre groupe, un peu timidement, comme au Jardin d'Acclimatation, et tend la main à celui qui est le plus près de lui, non sans gaucherie, comme on présente un bout de pain à l'éléphant.
    – Hé, hé, ils boivent le café, fait-il remarquer.
    – On dit le « jus », rectifie l'homme-pie.
    – C'est bon, mes amis ?
    Le soldat, intimidé lui aussi par cette rencontre étrange et exotique, grogne, rit et rougit, et le monsieur dit : « Hé, hé ! »
    Puis il fait un petit signe de la tête, et s'éloigne à reculons.
    – C'est très bien, c'est très bien, mes amis. Vous êtes des braves !
    Le groupe, fait des teintes neutres des draps civils semées de teintes militaires vives – comme des géraniums et des hortensias parmi le sol sombre d'un parterre – oscille, puis passe et s'éloigne par le côté opposé à celui d'où il est venu. On a entendu un officier dire : « Nous avons encore beaucoup à voir, messieurs les journalistes. »
    Quand le brillant ensemble s'est effacé, nous nous regardons. Ceux qui s'étaient éclipsés dans les trous s'exhument, du haut, graduellement. Les hommes se ressaisissent et haussent les épaules.
    – C'est des journalistes, dit Tirette.
    – Des journalistes ?
    – Ben oui, les sidis qui pondent les journaux. T'as pas l'air de saisir, s'pèce d'cbinoique : les journaux, i' faut bien des gars pour les écrire.
    – Alors, c'est eux qui nous bourrent le crâne ? fait Marthereau.
    Barque prend une voix de fausset et récite en faisant semblant de tenir un papier devant son nez :
    – « Le

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