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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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capuchon en l'air.
    – Pus souvent ! J'marche pas. Ça n'a rien à faire avec moi, répond l'encapuchonné, dont l'orgueil non moins que le confort est en jeu.
    – Ordre du général commandant l'armée.
    – Il faut alors que l'général en chef donne l'ordre qu'i' n'pleuve plus. J'veux rien savoir.
    La plupart des ordres, même de moins extraordinaires que celui-là, sont toujours accueillis de la sorte… avant d'être exécutés.
    – Le rapport ordonne aussi, dit l'homme-lettres, de tailler les barbes. Et les douilles, à la tondeuse, rasoche !
    – Ta bouche, mon gros ! dit Barque, dont le toupet est directement menacé par cette consigne. Tu m'as pas ar'gardé. Tu peux t'mettre la tringle.
    – Tu m'dis ça à moi. Fais-le ou fais-le pas. J'm'en fous pas mal.
    À côté des nouvelles positives, écrites, il y en a de plus amples, mais aussi plus incertaines et plus fantaisistes : la division serait relevée pour aller soit au repos – mais au vrai repos, pendant six semaines – soit au Maroc, et peut-être en Égypte.
    – Eh… Oh !… Ah !…
    Ils écoutent. Ils se laissent tenter par le prestige du nouveau, du merveilleux.
    Quelqu'un cependant demande au vaguemestre :
    – Qui t'a dit ça ?
    Il indique ses sources :
    – L'adjudant commandant le détachement de territoriaux qui fait les corvées au Q.G. du C.A.
    – Au quoi ?
    – Au quartier général du corps d'armée… Et y a pas que lui qui le dit. Y a, tu sais bien, l'client dont je ne sais plus le nom : celui qui ressemble à Galle et qui n'est pas Galle. Il a je n'sais plus qui dans sa famille qui est je n'sais plus quoi. Comme ça, il est renseigné.
    – Et alors ?
    Ils sont là, en cercle, le regard affamé, autour du raconteur d'histoires.
    – En Égypte, tu dis, nous irions ?… J'connais pas. J'sais qu'y avait des Pharaons du temps où j'étais gosse et que j'allais à l'école. Mais depuis !…
    – En Égypte…
    L'idée s'ancre insensiblement dans les cervelles.
    – Ah non, dit Blaire, parce que j'ai l'mal de mer… Et, après tout, ça n'dure pas, l'mal de mer… Oui, mais que dirait la patronne ?
    – Que veux-tu ? elle s'y fera ! On verra des nègres et des grands oiseaux plein les rues, comme on voit chez nous des moiniaux.
    – Mais ne devait-on pas aller en Alsace ?
    – Si, dit le vaguemestre. Yen a qui le croient au Trésor.
    – Ça m'irait assez…
    Mais le bon sens et l'expérience acquise reprennent le dessus et chassent le rêve. On a affirmé si souvent qu'on allait partir au loin, et si souvent on l'a cru, et si souvent on a déchanté ! Aussi c'est comme si, à un moment donné, on se réveillait.
    – Tout ça, c'est des bobards. On nous l'a trop fait. Attends avant de croire – et t'en fais pas une miette.
    Ils regagnent leur coin, quelques-uns par-ci par-là ont à la main le fardeau léger et important d'une lettre.
    – Ah ! dit Tîrloir, i' faut qu'j'écrive, j'peux pas rester huit jours sans écrire. Ça n'a rien à faire.
    – Moi aussi, dit Eudore, i' faut qu'j'écrive à ma p'tit' femme.
    – À va bien, Mariette ?
    – Oui, oui. T'en fais pas pour Mariette.
    D'aucuns se sont déjà installés pour la correspondance. Barque debout, son papier posé à plat sur un carnet dans une anfractuosité de la paroi, semble en proie à une inspiration. Il écrit, écrit, penché, le regard captivé, l'air absorbé d'un cavalier lancé au galop.
    Lamuse, qui n'a pas d'imagination, passe son temps, une fois qu'il s'est assis, qu'il a posé sur la pointe matelassée de ses genoux sa pochette de papier et mouillé son crayon-encre, à relire les dernières lettres reçues, et à ne pas savoir quoi dire d'autre que ce qu'il a déjà dit, et à s'entêter à vouloir dire autre chose.
    Une douceur de sentimentalité semble répandue sur le petit Eudore qui s'est recroquevillé dans une sorte de niche de terre. Il se recueille, le crayon aux doigts, les yeux sur son papier ; rêveur, il regarde, il dévisage, il voit, et on voit l'autre ciel qui l'éclaire. Son regard va là-bas. Il est agrandi jusqu'à chez lui…
    Le moment des lettres est celui où l'on est le plus et le mieux ce que l'on fut. Plusieurs hommes s'abandonnent au passé et reparlent d'abord de mangeaille.
    Sous l'écorce des formes grossières et obscurcies, d'autres cœurs laissent murmurer tout haut un souvenir et évoquent des clartés antiques : le matin d'été, quand le vert frais du jardin déteint dans

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