Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
Vom Netzwerk:
kronprinz est fou, après avoir été tué au commencement de la campagne, et, en attendant, il a toutes les maladies qu'on veut. Guillaume va mourir ce soir et remourir demain. Les Allemands n'ont plus de munitions, becquettent du bois ; ils ne peuvent plus tenir, d'après les calculs les plus autorisés, que jusqu'à la fin de la semaine. On les aura quand on voudra, l'arme à la bretelle. Si on attend quèq'jours encore, c'est que nous n'avons pas envie d'quitter l'existence des tranchées ; on y est si bien, avec l'eau, le gaz, les douches à tous les étages. Le seul inconvénient, c'est qu'il y fait un peu trop chaud l'hiver… Quant aux Autrichiens, y a longtemps qu'euss i' s n'tiennent plus : i' font semblant… » V'là quinze mois que c'est comme ça et que l'directeur dit à ses scribes : « Eh ! les poteaux, j'tez-en un coup, tâchez moyen de m'décrotter ça en cinq sec et de l'délayer sur la longueur de ces quatre sacrées feuilles blanches qu'on a à salir. »
    – Eh oui ! dit Fouillade.
    – Ben quoi, caporal, tu rigoles, c'est pas vrai, c'qu'on dit ?
    – Y a un peu de vrai, mais vous abîmez, les petits gars, et vous seriez bien les premiers à en faire une tirelire s'il fallait que vous vous passiez de journaux… Oui, quand passe le marchand de journaux, pourquoi que vous êtes tous à crier : « Moi ! moi ! »
    – Et pis, qu'est-ce que ça peut bien te faire tout ça ! s'écrie le père Blaire. T'es là à en faire une tinette sur les journaux, mais fais donc comme moi : y pense pas !
    – Oui, oui, en v'là marre ! Tourne la page, nez d'âne !
    La conversation se tronçonne, l'attention se fragmente, se disperse. Quatre bonshommes se conjuguent pour une manille qui durera jusqu'à ce que le soir efface les cartes. Volpatte fait des efforts pour capturer une feuille de papier à cigarette qui a fui de ses doigts et qui sautille et zigzague au vent sur la paroi de la tranchée comme un papillon fugace.
    Cocon et Tirette évoquent des souvenirs de caserne. Les années de service militaire ont laissé dans les esprits une impression indélébile ; c'est un fonds de souvenirs riches, bon teint et toujours prêts, où l'on a l'habitude depuis dix, quinze ou vingt ans, de puiser des sujets de conversation… Si bien qu'on continue, même après avoir fait pendant un an et demi la guerre sous toutes ses formes.
    J'entends en partie le colloque, j'en devine le reste. C'est, d'ailleurs, sempiternellement le même genre d'anecdotes que les ex-troupiers sortent de leur passé militaire : le narrateur a cloué le bec à un gradé mal intentionné, par des paroles pleines d'à-propos et de crânerie. Il a osé, il a parlé haut et fort, lui !… Des bribes me parviennent aux oreilles :
    – … Alors, tu crois que j'ai bronché quand Nenœil m'a eu cassé ça ? Pas du tout, mon vieux. Tous les copains la fermaient ; mais moi, j'y ai dit tout haut : « Mon adjudant, qu'j'ai dit, c'est possible, mais… » (suit une phrase que je n'ai point retenue)… Oh ! tu sais, tel que ça, j'y ai dit. Il n'a pas pipé. « C'est bon, c'est bon », qu'il a dit en foutant le camp, et après, il a été bath comme tout avec moi.
    – C'est comme moi avec Dodore, l'juteux de la 13 e quand j'faisais mon congé. Une carne. Main'nant, il est au Panthéon, comme gardien. I' m'avait dans l'nez. Alors…
    Et chacun de déballer son bagage personnel de mots historiques.
    Ils sont chacun comme les autres : il n'en est pas un qui ne dise pas : « Moi, je ne suis pas comme les autres. »
    – Le vaguemestre !
    C'est un haut et large homme aux gros mollets, et de mise confortable et soignée comme un gendarme.
    Il est de mauvaise humeur. Il y a eu de nouveaux ordres, et maintenant il faut qu'il aille chaque jour jusqu'au poste de commandement du colonel porter le courrier. Il déblatère sur cette mesure comme si elle était exclusivement dirigée contre lui.
    Cependant, tout en déblatérant, il parle à l'un, à l'autre, en passant, suivant son habitude, tandis qu'il appelle les caporaux aux lettres. Et nonobstant sa rancœur, il ne garde pas pour lui tous les renseignements dont il arrive pourvu. En même temps qu'il ôte les ficelles du paquet de lettres, il distribue sa provision de nouvelles verbales.
    Il dit d'abord que, sur le rapport, il y a en toutes lettres la défense de porter des capuchons.
    – T'entends ça ? dit Tirette à Tirloir. Te v'là forcé de lancer ton beau

Weitere Kostenlose Bücher