Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
Vom Netzwerk:
toute la blancheur de la chambre campagnarde, ou quand, dans les plaines, le vent donne au champ de blé des remuements lents et forts, et, à côté, agite le carré d'avoine de petits frissons vifs et féminins. Ou bien, le soir d'hiver, la table autour de laquelle sont les femmes et leur douceur et où se tient debout la lampe caressante, avec le tendre éclat de sa vie et la robe de son abat-jour.
    Cependant le père Blaire reprend sa bague commencée. Il a enfilé la rondelle encore informe d'aluminium dans un bout de bois rond et il la frotte avec la lime. Il s'applique à ce travail, réfléchissant de toutes ses forces, deux plis sculptés sur le front. Parfois il s'arrête, se redresse, et regarde la petite chose, tendrement, comme si elle le regardait aussi.
    – Tu comprends, m'a-t-il dit une fois à propos d'une autre bague, il ne s'agit pas de bien ou de pas bien. L'important, c'est que je l'aye faite pour ma femme, tu comprends ? Quand j'étais à rien faire, à avoir la cosse, je regardais cette photo (il exhibait la photographie d'une grosse femme mafflue), et alors je m'y mettais tout facilement, à cette sacrée bague. On peut dire que nous l'avons faite ensemble, tu comprends ? La preuve c'est qu'elle me tenait compagnie et que j'lui ai dit adieu quand je l'ai envoyée à la mère Blaire.
    Il en en fait à présent une autre où il y aura du cuivre. Il travaille avec ardeur. C'est son cœur qui veut s'exprimer le mieux possible et s'acharne à une sorte de calligraphie.
    Dans ces trous dénudés de la terre, ces hommes inclinés avec respect sur ces bijoux légers, élémentaires, si petits que la grosse main durcie les tient difficilement et les laisse couler, ont l'air encore plus sauvages, plus primitifs, et plus humains, que sous tout autre aspect.
    On pense au premier inventeur, père des artistes, qui tâcha de donner à des choses durables la forme de ce qu'il voyait et l'âme de ce qu'il ressentait.
    – En v'là qui vont passer, annonce Biquet, mobile, qui fait le concierge dans notre secteur de tranchée. Y en a une tinée.
    Justement, un adjudant, sanglé du ventre et du menton, débouche en brandissant son fourreau de sabre :
    – Dégagez, vous autres ! Ben quoi, dégagez, que j'vous dis ! Vous êtes là à faire flanelle… Allons, oust, la fuite ! J'veux plus vous voir dans le passage, hé !
    On se range mollement. Quelques-uns avec lenteur, sur les côtés, s'enfoncent par degrés dans le sol.
    C'est une compagnie de territoriaux chargés dans le secteur des travaux de terrassement de seconde ligne et de l'entretien des boyaux d'arrière. Ils apparaissent, armés de leurs outils, misérablement fagotés et tirant la patte.
    On les regarde un à un approcher, passer, s'effacer. Ce sont de petits vieux rabougris, aux joues poudrées de cendre, ou de gros poussifs encerclés à l'étroit dans leurs capotes passées et tachées, auxquelles manquent des boutons et dont l'étoffe bâille, édentée…
    Tirette et Barque, les deux loustics, adossés et serrés sur la paroi, les dévisagent d'abord en silence. Puis ils se mettent à sourire.
    – Le défilé des balayeurs, dit Tirette. – On va rigoler trois minutes, annonce Barque.
    Quelques-uns des vieux travailleurs sont cocasses. Celui-ci, qui arrive dans la file, a des épaules tombantes de bouteille ; il est extrêmement mince du thorax et maigre des jambes, et, néanmoins, il est ventru.
    Barque n'y tient plus.
    – Eh, dis donc, Dubidon !
    – Mince de paletot, remarque Tirette devant une capote qui passe, infiniment rapiécée, de tous les bleus.
    Il interpelle le vétéran.
    – Eh ! l'père-échantillons… Eh, dis donc, là-bas, toi, insiste-t-il.
    L'autre se tourne, le regarde, bouche bée.
    – Dis donc, papa, si tu veux être bien gentil, tu me donneras l'adresse de ton tailleur de Londres.
    La figure surannée et gribouillée de rides ricane – puis le bonhomme, arrêté un instant sous l'injonction de Barque, est bousculé par le flot qui le suit, et emporté.
    Après quelques figurants moins remarquables, une nouvelle victime se présente aux quolibets. Sur sa nuque rouge et rugueuse végète une espèce de laine sale de mouton. Les genoux pliés, le corps en avant et le dos voûté, ce territorial se tient mal debout.
    – Tiens, braille Tirette en le désignant du doigt, le célèbre homme-accordéon ! À la foire, on paierait pour le voir. Ici, la vue n'en coûte rien !
    Tandis que l'interpellé

Weitere Kostenlose Bücher