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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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maintenant l'élan était donné ; chacun se jetait dans le trafic, pris par la fièvre des chiffres, ébloui par les multiplications.
    Les cloches sonnèrent. Un cortège déboucha. C'était un enterrement militaire. Une fourragère, conduite par un tringlot, portait un cercueil enveloppé dans un drapeau. À la suite, un piquet d'hommes, un adjudant, un aumônier et un civil.
    – L'pauvre petit enterrement à queue coupée ! dit Lamuse.
    – L'ambulance n'est pas loin, murmura-t-il. À s'vide, que veux-tu ! Ah ! ceux qui sont morts sont bien heureux. Mais des fois seulement, pas toujours… Voilà !
    Nous avons dépassé les dernières maisons. Dans la campagne, au bout de la rue, le train régimentaire et le train de combat se sont installés : Les cuisines roulantes et les voitures tintinnabulantes qui les suivent avec leur bric-à-brac de matériel, les voitures à croix rouge, les camions, les fourragères, le cabriolet du vaguemestre.
    Les tentes des conducteurs et des gardiens essaiment autour des voitures. Dans des espaces, des chevaux, les pieds sur la terre vide, regardent le trou du ciel avec leurs yeux minéraux. Quatre poilus plantent une table. La forge en plein air fume. Cette cité hétéroclite et grouillante, posée sur le champ défoncé dont les ornières parallèles et tournantes se pétrifient dans la chaleur, est frangée déjà largement d'ordures et de débris.
    Au bord du camp, une grande voiture peinte en blanc tranche sur les autres par sa propreté et sa netteté. On dirait, au milieu d'une foire, la roulotte de luxe où l'on paye plus cher que dans les autres.
    C'est la fameuse voiture stomatologique que cherchait Blaire.
    Justement, Blaire est là, devant, qui la contemple. Il y a longtemps, sans doute, qu'il tourne autour, les yeux attachés sur elle. L'infirmier Sambremeuse, de la Division, revient de courses, et gravit l'escalier volant de bois peint, qui mène à la porte de la voiture. Il tient dans ses bras une boîte de biscuits, de grande dimension, un pain de fantaisie et une bouteille de champagne.
    Blaire l'interpelle :
    – Dis donc, Du Fessier, c'te bagnole-là, c'est les dentistes ?
    – C'est écrit dessus, répond Sambremeuse, un petit replet, propre, rasé, au menton blanc et empesé. Si tu ne le vois pas, c'est pas l'dentiste qu'il faut demander pour te soigner les piloches, c'est le vétérinaire pour te torcher la vue.
    Blaire, s'étant approché, examine l'installation.
    – C'est barloque, dit-il.
    Il s'approche encore, s'éloigne, hésite à engager sa mâchoire dans cette voiture. Il se décide enfin, met un pied sur l'escalier, et disparaît dans la roulotte.
    Nous poursuivons la promenade… On tourne dans un sentier dont les hauts buissons sont poivrés de poussière. Les bruits s'apaisent. La lumière éclate partout, chauffe et cuit le creux du chemin, y étale d'aveuglantes et brûlantes blancheurs çà et là, et vibre dans le ciel parfaitement bleu.
    Au premier tournant, à peine entendons-nous un crissement léger de pas, et nous nous trouvons face à face avec Eudoxie !
    Lamuse pousse une exclamation sourde. Peut-être s'imagine-t-il, encore une fois, qu'elle le cherchait, croit-il à quelque don du destin… Il va à elle, de toute sa masse.
    Elle le regarde, s'arrête, encadrée par de l'aubépine. Sa figure étrangement maigre et pâle s'inquiète, ses paupières battent sur ses yeux magnifiques. Elle est nu-tête ; son corsage de toile est échancré sur le cou, à l'aurore de sa chair. Si proche, elle est vraiment tentante dans le soleil, cette femme couronnée d'or. La blancheur lunaire de sa peau appelle et étonne le regard. Ses yeux scintillent ; ses dents, aussi, étincellent dans la vive blessure de sa bouche entrouverte, rouge comme le cœur.
    – Dites-moi… J'vais vous dire… halète Lamuse. Vous me plaisez tant…
    Il avance le bras vers la précieuse passante immobile.
    Elle a un haut-le-corps, et lui répond :
    – Laissez-moi tranquille, vous me dégoûtez !
    La main de l'homme se jette sur une des petites mains. Elle essaie de la retirer et la secoue pour se dégager.
    Ses cheveux d'une intense blondeur se défont, et remuent comme des flammes. Il l'attire à lui. Il tend le cou vers elle, et ses lèvres aussi se tendent en avant. Il veut l'embrasser. Il le veut de toute sa force, de toute sa vie. Il mourrait pour la toucher avec sa bouche.
    Mais elle se débat, elle jette un cri étouffé ; on voit palpiter

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