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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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chante sans modestie et remplit à lui seul tout l'espace.
    Là-bas, du faîte d'un peuplier descend, toute tourbillonnante, une pie qui, mi-blanche, mi-noire, semble un morceau de journal à moitié brûlé.
    Les soldats s'étirent délicieusement sur un banc de pierre, les yeux demi-clos, et s'offrent au rayon qui, dans le creux de cette vaste cour, chauffe l'atmosphère comme un bain.
    – Voilà dix-sept jours qu'on est là ! Et on croyait qu'on allait s'en aller du jour au lendemain !
    – On n'sait jamais ! dit Paradis, en hochant la tête et en claquant la langue.
    Par la poterne de la cour ouverte sur le chemin, on voit se promener une bande de poilus, le nez en l'air, gourmands de soleil, puis, tout seul, Teilurure : au milieu de la rue, il balance le ventre florissant dont il est propriétaire, et déambulant sur ses jambes arquées comme deux anses, crache tout autour de lui, abondamment, richement.
    – On croyait aussi qu'on s'rait malheureux ici comme dans les autres cantonnements. Mais cette fois-ci, c'est le vrai repos, et par le temps qu'i' dure, et par la chose qu'il est.
    – Tu n'as pas trop d'exercice, pas trop d'corvées.
    – Et, entre-temps, tu viens ici, te prélasser.
    Le vieux bonhomme entassé au bout du banc – et qui n'était autre que le grand-père au trésor aperçu le jour de notre arrivée – se rapprocha et leva le doigt.
    – Quand j'étais jeune, j'étais bien vu des femmes, affirma-t-il en secouant le chef. J'en ai mouflé, des d'moiselles !
    – Ah ! fîmes-nous avec distraction, l'attention attirée, à travers ce bavardage sénile, par le profitable bruit de la charrette qui passait, chargée et pleine d'efforts.
    – Maintenant, reprit le vieux, j'pense pus qu'à l'argent.
    – Ah ! oui, c'trésor que vous cherchez, papa.
    – Bien sûr, dit le vieux paysan.
    Il sentit l'incrédulité qui l'entourait.
    Il se frappa la boîte crânienne avec son index, qu'il tendit ensuite vers la maison.
    – T'nez c'te bête-là, fit-il, en désignant une bestiole obscure qui courait sur le plâtre. Qu'est-c'qu'alle dit ? Alle dit : J'suis l'araignée qui fait le fil de la Vierge.
    Et l'antique bonhomme ajouta :
    – Faut jamais juger c'qu'on fait, pa'c'qu'on n'peut pas juger c'qui arrive.
    – C'est vrai, lui répondit poliment Paradis.
    – Il est drôle, dit Mesnil André entre ses dents, tout en cherchant sa glace dans sa poche, pour contempler ses traits flattés par le beau temps.
    – Il est louf, murmura Barque, béatement.
    – J'vous quitte, dit le vieux, tourmenté, et ne tenant pas en place.
    Il se leva pour aller à nouveau chercher son trésor.
    Il entra dans la maison à laquelle nos dos s'appuyaient ; il laissa la porte ouverte et, par là, on aperçut dans la chambre, au pied de la cheminée géante, une petite fille qui jouait à la poupée si sérieusement que Volpatte réfléchit et dit :
    – Alle a raison.
    Les jeux des enfants sont de graves occupations. Il n'y a que les grandes personnes qui jouent.
    Après avoir regardé passer les bêtes et les promeneurs, on regarde le temps qui passe, on regarde tout.
    On voit la vie des choses, on assiste à la nature, mêlée aux climats, mêlée au ciel, teinte par les saisons. Nous nous sommes attachés à ce coin de pays où le hasard nous a maintenus, au milieu de nos perpétuels errements, plus longtemps et plus en paix qu'ailleurs, et ce rapprochement nous rend sensibles à toutes ses nuances. Déjà, le mois de septembre, lendemain d'août et veille d'octobre et qui est par sa situation le plus émouvant des mois, parsème les beaux jours de quelques fins avertissements. Déjà, on comprend ces feuilles mortes qui courent sur les pierres plates comme une bande de moineaux.
    En vérité, on s'est habitué, ces lieux et nous, à être ensemble. Tant de fois transplantés, nous nous implantons ici, et nous ne pensons plus réellement au départ, même lorsque nous en parlons.
    – La onzième Division est bien restée un mois et demi au repos, dit Volpatte.
    – Et le 375 e , donc, neuf semaines ! reprend Barque, irréfutablement.
    – Pour moi, nous resterons pour le moins autant, pour le moins, je dis.
    – On finirait bien la guerre ici…
    Barque s'attendrit et n'est pas loin de le croire.
    – Après tout, elle finira bien un jour, quoi !
    – Après tout !… redisent les autres.
    – Évidemment, on n'sait jamais, fait Paradis.
    Il dit cela faiblement, sans grande conviction.

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