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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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son cou, sa jolie figure s'enlaidir haineusement.
    Je m'approche et mets la main sur l'épaule de mon compagnon, mais mon intervention est inutile : il recule et gronde vaincu.
    – Vous n'êtes pas malade, des fois ! lui crie Eudoxie.
    – Non !… gémit le malheureux, déconcerté, atterré, affolé.
    – N'y revenez pas, vous savez ! dit-elle.
    Et elle s'en va, toute pantelante, et il ne la regarde même pas s'en aller : il reste les bras ballants, béant devant la place où elle était, martyrisé, dans sa chair, réveillé d'elle et ne sachant plus de prière.
    Je l'entraîne. Il me suit, muet, tumultueux, en reniflant, essoufflé comme s'il avait fui pendant longtemps.
    Il baisse le bloc de sa grosse tête. Dans la clarté impitoyable de l'éternel printemps, il est pareil au pauvre cyclope, qui rôdait sur les antiques rivages de Sicile, bafoué et dompté par la force lumineuse d'une enfant, tel un jouet monstrueux, au commencement des âges.
    Le marchand de vin ambulant, poussant sa brouette bossuée d'un tonneau, a vendu quelques litres aux hommes de garde. Il disparaît au tournant de la route, avec sa face jaune et plate comme le camembert, ses rares cheveux légers, effilochés en flocons de poussière, si maigre dans son pantalon flottant qu'on dirait que ses pieds sont rattachés à son torse par des ficelles.
    Et entre les poilus désœuvrés du corps de garde, au bout du pays, sous l'aile de la plaque indicatrice, ballottante et grinçante qui sert d'enseigne au village, il s'établit une conversation à propos de ce polichinelle errant.
    – Il a une sale bougie, dit Bigornot. Et pis, veux-tu que je te dise ? On ne devrait pas laisser tant de civelots se baguenauder sur le front, en douce poil-poil, surtout des mecs dont on ne connaît pas bien l'originalité.
    – Tu abîmes, pou volant, répond Cornet.
    – T'occupe pas, face de semelle, insiste Bigornot, on s'méfie pas assez. J'sais c'que j'dis quand je l'ouvre.
    – Tu sais pas, dit Canard, Pépère va à l'arrière.
    – Les femmes ici, murmura La Mollette, a sont laides, c'est des r'mèdes.
    Les autres hommes de garde, promenant leurs regards braqués dans l'espace, contemplent deux avions ennemis et l'écheveau embrouillé de leurs lacis. Autour des oiseaux mécaniques et rigides, qui suivent le jeu des rayons, apparaissent dans les hauteurs, tantôt noirs comme des corbeaux, tantôt blancs comme des mouettes – des multitudes d'éclatements de shrapnells pointillent l'azur et semblent une longue volée de flocons de neige dans le beau temps.
    On rentre. Deux promeneurs s'avancent. Ce sont Carassus et Cheyssier. Ils annoncent que le cuisinier Pépère s'en va s'en aller à l'arrière, cueilli par la loi Dalbiez et expédié dans un régiment territorial.
    – V'là un filon pour Blaire, dit Carassus, qui a au milieu de la figure un drôle de grand nez qui ne lui va pas.
    Dans le village, des bandes de poilus passent, ou des couples, liés par les liens entrecroisés du dialogue. On voit des isolés se joindre deux à deux, se quitter, puis, pleins encore de conversations, se rejoindre à nouveau, attirés l'un vers l'autre comme par un aimant.
    Une cohue acharnée : au milieu, des blancheurs de papier ondoient. C'est le marchand de journaux qui vend, pour deux sous, les journaux à un sou. Fouillade est arrêté au milieu du chemin, maigre comme la patte d'un lièvre. À l'angle d'une maison, Paradis présente dans le soleil sa face rose comme le jambon.
    Biquet nous rejoint, en petite tenue : veste et bonnet de police. Il se lèche les babines.
    – J'ai rencontré des copains. On a bu un coup. Tu comprends ; demain, va falloir se remettre à gratter ; et, d'abord, nettoyer ses frusques et son lance-pierres. Rien qu'ma capote, ça va être quéqu'chose, à tirer au clair ! C'est pus une capote, c'est une doublure d'une manière de cuirasse.
    Montreuil, employé au bureau, surgit, et hèle Biquet :
    – Eh, l'chiard ! Une lettre. V'là une heure qu'on t'cherche après ! T'es jamais là, œuf !
    – J'peux pas être ici z'et là, gros sac. Donne voir.
    Il examine, soupèse, et annonce en déchirant l'enveloppe :
    – C'est d'ma vieille.
    On ralentit le pas. Il lit en suivant les lignes avec son doigt, en hochant la tête d'un air convaincu, et en remuant les lèvres comme une dévote.
    À mesure qu'on gagne le centre du village, l'affluence augmente. On salue le commandant, et l'aumônier noir qui marche à

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