Le Fils de Pardaillan
d’oiseau si doux, si mélodieux, que la mère et moi nous étions pâmés, si bien que nous riions et pleurions tour à tour, sans savoir pourquoi… C’est bête ce que je vous dis-là, n’est-ce pas, signora ?…
– Non, dit gravement Léonora. Tu oublies, Saêtta, que je suis mère.
– C’est vrai, dit vivement Saêtta, pardonnez-moi, signora. C’est vrai que vous êtes mère… Je puis parler sans crainte… je serai compris.
– Oui, dit Léonora avec la même gravité.
– Tout de suite, reprit Saêtta, Margarita et moi nous nous mîmes à adorer l’enfant. A tel point, signora, qu’il me vint des idées auxquelles je n’avais jamais songé, ni Margarita non plus… Pour l’enfant, je m’avisai de trouver que le métier que je faisais était hideux. Je l’abandonnai. J’étais un vrai maître en fait d’armes. J’ouvris une académie. L’innocente créature, il faut croire, nous avait apporté la chance avec le bonheur. Mon académie prit. Je gagnais ma vie presque aussi bien qu’avec mon ancien métier. Avec le temps, ma réputation, qui commençait à se faire, s’agrandissant, je pouvais espérer trouver sinon la fortune, du moins l’aisance pour nos vieux jours, et amasser en plus une somme rondelette à donner en dot à notre Paolina quand elle serait en âge d’être mariée à son tour.
Il se laissa tomber lourdement sur un siège et souffla fortement.
– Repose-toi un peu, fit Léonora avec douceur. Il secoua la tête d’un air farouche.
– Ma Paolina allait atteindre ses quatorze ans. Elle était plus belle encore que sa mère. Nous en étions fous, et orgueilleux donc !… Quand elles sortaient ensemble, la mère, avec ces vingt-huit ans, paraissait la sœur de sa fille. Et on les admirait, on les respectait aussi, parce qu’elles étaient irréprochables… et parce que j’étais là, moi, et qu’on me redoutait. Toutes les deux, on les eût prises, l’une pour une fleur épanouie sous la caresse du soleil, l’autre pour un frais bouton prêt à s’épanouir à son tour… Moi, j’allais sur mes trente-deux ans. Mes affaires prospéraient. J’avais inventé un coup foudroyant qui faisait fureur. Je l’avais appelé la Foudre, en italien la Saêtta. En le démontrant, je ne manquais jamais de m’écrier :
Ecco la Saêtta ! »
Et le nom m’était resté. Et j’étais quasi célèbre sous ce nom-là. Tout me souriait. Entre ma femme et ma fille également belles, également adorées, quatorze années d’un bonheur surhumain s’étaient écoulées qui m’avaient paru brèves comme des journées de soleil… Cela ne pouvait pas durer.
Il se tut un instant, refoulant péniblement les sanglots qui l’étouffaient. Quand il se sentit plus calme, il reprit :
– Nous étions presque riches et, avec la fortune, l’ambition m’était venue… pour l’enfant, bien entendu. Un jour, jour de malheur, jour de malédiction, la princesse Fausta vit Paolina. L’enfant lui plut. Elle nous la demanda, assurant qu’elle ferait sa fortune et la marierait à quelque noble seigneur de son entourage. Pensez un peu, quelle aubaine inespérée pour nous !… Notre petite Paolina suivante d’une souveraine !… J’étais fou d’orgueil… la mère aussi d’ailleurs… La souveraine se montrait conciliante. En dehors de son service, nous pourrions voir l’enfant tant qu’il nous plairait, soit que nous allassions au palais, soit qu’elle vînt à la maison… Bref, nous fîmes cette impardonnable folie d’accepter. Pendant près d’un an, nous n’eûmes rien à regretter. La petite se déclarait heureuse. La souveraine était très sévère, très exigeante, paraît-il, mais, au demeurant, se montrait bonne et généreuse. Je la comblais de bénédictions… Fou ! triple fou !…
Il demeura un moment haletant, essuyant d’un revers de main machinal la sueur qui perlait à son front. Il fit un effort violent et continua d’une voix rauque :
– Un jour, nous arrivons au palais, Margarita et moi, pour voir la petite. Nous aimions à la voir dans son costume magnifique, au milieu de ces splendeurs… Nous étions aveugles, fous, fous à lier, je vous dis. Donc, nous arrivons. Bon. Qu’est-ce que nous voyons dans la cour d’honneur ?… Devinez un peu, signora.
– Je ne sais pas. Quelque tête sans doute.
– L’échafaud, signora, un bel échafaud, tout dressé… avec le bourreau qui, appuyé sur sa hache, attendait patiemment au pied
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