Le Fils de Pardaillan
de l’échelle raide. Et tout autour, les gentilshommes, pages, écuyers, dames d’atours, suivantes, servantes, hommes d’armes, tous et toutes. Et la souveraine, debout, impassible, à son balcon. Nous cherchons la petite des yeux. Nous ne la voyons pas. Je ne suis pas très tendre, signora, néanmoins, je poussais un rude soupir de soulagement. Je pensais que ce n’était pas là un spectacle à montrer à mon enfant et dans la candeur de mon âme, je remerciai la souveraine qui avait épargné le hideux spectacle d’une exécution capitale à ma Paolina si délicate, si pure.
Et Saêtta eut un éclat de rire de dément.
– Ah ! la bonté et la générosité de la souveraine !… Vous allez voir, signora, que je lui devais bien les remerciements que je lui adressais dans mon cœur… Savez-vous ce qui arriva ?
Et comme Léonora ébauchait un geste évasif :
– Ne cherchez pas, dit-il avec violence, vous ne trouveriez pas. Voici ce qui arriva : un homme, tout de noir vêtu, monta sur l’échafaud et, à voix haute, il lut un grimoire où je ne compris pas grand-chose, si ce n’est qu’il y était question d’une méchante et pernicieuse trahison, déjà magnanimement pardonnée une fois et plus méchamment renouvelée. Il y était question aussi d’exemple salutaire à donner et d’une tête à trancher devant toute la maison assemblée… Et tout à coup, comme un effroyable coup de tonnerre, Paolina, le nom de notre enfant, retentit sur nos têtes égarées !… C’était la condamnation à mort de notre enfant que nous venions d’entendre !… Cet échafaud ! c’était pour elle qu’il était dressé !… Ce bourreau ! elle qu’il attendait ?… Cette hache ? sur son cou si blanc qu’elle allait s’abattre !… elle, la chair de notre chair, notre sang, notre cœur, notre tout !… La fatalité implacable et aveugle nous avait amenés là, à point nommé, horreur !… épouvante !… folie !… pour que nous fussions témoins de l’exécution de l’infâme sentence !
– Horrible ! murmura Léonora émue.
– Vous entendez d’ici le double hurlement qui jaillit de nos poitrines oppressées… Je voulus m’élancer… Je fus saisi, maintenu, réduit à l’impuissance, malgré ma résistance désespérée… Alors, je me mis à genoux sur la terre, je criai, j’implorai, je menaçai, je pleurai… Et la mère, la douloureuse mère, fit comme moi… Elle se roula à terre, s’arracha les cheveux, se meurtrit le visage, et elle parlait, elle disait je ne sais quoi… des choses qui eussent attendri les pierres sans doute, car autour de nous on sanglotait, on criait grâce, merci… La souveraine demeura inflexible. Alors, je demandai, puisqu’il fallait du sang à la strige, qu’elle prît ma tête en échange de celle de mon enfant. Elle refusa.
« – Qu’on leur donne le corps pour qu’ils le fassent enterrer chrétiennement. C’est tout ce que je peux faire pour eux !
« Voilà ce que dit la généreuse, la magnanime, la noble, la sainte Fausta. »
Saêtta, les yeux exorbités, écumant encore au souvenir de l’épouvantable vision évoquée, se tut un moment, pendant lequel Léonora l’entendit râler, secoué de longs frissons. Et deux noms, comme une plainte déchirante, revenaient constamment à ses lèvres :
– Margarita !… Paolina !…
Peu à peu, le
bravo
se calma. Il redressa la tête. Sa physionomie reprit sa rude expression accoutumée. Seulement, il était très pâle et une lueur sinistre brillait dans ses yeux froids.
– Comment je sortis de là, emportant le corps de ma fille morte, et de ma femme évanouie ? Je ne sais pas… Ce que je sais, c’est que huit jours plus tard, Margarita, terrassée par la fièvre, Margarita qui n’avait pas cessé de délirer depuis l’effroyable minute où elle avait vu la tête de son enfant rouler sous la hache du bourreau, Margarita dormait de son dernier sommeil auprès de sa fille où je l’avais fait inhumer… J’étais seul au monde désormais.
– Comment as-tu pu résister ?…
– Signora, j’avais quelque chose de mieux à faire que de mourir.
– Oui, murmura Léonora, la vengeance !
Saêtta approuva doucement de la tête et reprenant son récit :
– Je désertai mon académie. Je perdis mes clients. Il fallut fermer. C’était la ruine. Je ne m’en souciais guère… Je guettais Fausta !… Pendant trois ans, je la guettai ainsi. J’avais
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