Le Fils de Pardaillan
enthousiasme, et d’un souffle si puissant qu’il sera emporté comme fétu par la tourmente. »
A ce moment, Léonora redressait la tête et, fixant sur le
bravo
son œil de feu, curieusement elle dit :
– Raconte-moi, Saêtta, ce que t’a fait la signora Fausta… Ce doit être quelque sombre et terrible histoire que je suis curieuse de connaître.
Paroles très simples. Il sembla pourtant à Saêtta qu’il y avait comme une imperceptible ironie dans le ton dont elles furent prononcées. Peut-être sa défiance mise en éveil lui faisait-elle entrevoir des intentions qui n’existaient pas. Quoi qu’il en soit, il ne laissa rien paraître de ses impressions. Il secoua doucement la tête, et sans que rien dans ses intonations trahît sa secrète pensée, avec un naturel parfait, il dit :
– Ce n’est pas une histoire sombre et terrible, comme vous le dites. C’est une histoire bien banale, bien vulgaire, comme il en doit exister plus d’une dans la vie de l’illustrissime Fausta… comme il en existe de semblables dans l’existence de tous ceux qui détiennent la puissance souveraine.
– N’importe, insista doucement Léonora, terrible ou banale, je désire… j’ai besoin de connaître cette histoire.
– Je le sais, signora. Aussi vous la ferai-je connaître, dit Saêtta avec le même naturel. Mais, voyez-vous, cette histoire très banale fut aussi, pour moi, très douloureuse – et avec un grincement de fureur, il insista d’une voix qui devint rauque – très douloureuse… atrocement douloureuse… Cependant, je me rends compte que telle qu’elle est, elle peut maintenant vous laisser très indifférente. Aussi, je vous demande la permission de vous faire, avant, quelques petites révélations ; quand je vous aurai dit ce que j’ai à vous dire, je pourrai vous conter cette histoire. Je crois – il eut un petit sourire énigmatique –, oui, je crois qu’alors elle vous intéressera, vous serez dans de bonnes conditions pour me comprendre et m’approuver.
Sa curiosité vivement surexcitée, elle acquiesça doucement :
– Comme tu voudras, Saêtta. Parle donc, je t’écoute.
Saêtta jeta un coup d’œil furtif autour de lui pour s’assurer qu’il ne pouvait être entendu et, baissant la voix, il lâcha à brûle-pourpoint :
– Puisque vous connaissez l’histoire de Fausta, vous n’êtes pas sans avoir entendu parler de son trésor.
Une flamme passa dans l’œil noir de Léonora. Ce ne fut qu’un éclair. Saêtta le surprit et il eut un mince sourire de satisfaction. Léonora commençait à entrevoir que l’entretien serait plus intéressant encore qu’elle n’avait pensé. Elle prit un air détaché pour dire :
– Ce fameux trésor qui, chuchote-t-on, est enfoui dans l’abbaye de Montmartre ?… Depuis vingt ans qu’on en parle, je crois, quant à moi, qu’il doit être loin… si tant est qu’il ait jamais existé.
Avec une gravité impressionnante, Saêtta dit :
– Erreur, madame !… Le trésor existe et nul n’y a touché, j’en réponds.
Et, la regardant droit dans les yeux, avec un ricanement singulier :
– Eh ! eh ! signora, dix millions !… C’est un joli denier, cela !… Dix millions !… [10] . Figurez-vous une somme pareille tombant dans les coffres d’une personne ayant une haute intelligence et de vastes ambitions !… A quoi ne pourrait-elle prétendre ?… Jusqu’où ne pourrait-elle monter ?
Un peu de sang monta aux joues de Léonora, ses yeux clignotèrent comme s’ils eussent été éblouis par le ruissellement de l’or, et d’un air rêveur, machinalement, elle répéta :
– Dix millions !…
Saêtta, son énigmatique sourire aux lèvres, ne la quittait pas des yeux. Et voyant l’effet produit par l’énoncé de cette somme énorme, brusquement, brutalement, il cassa l’aile aux rêves prêts à s’envoler de ce cerveau qu’il venait de surexciter, en disant d’un air négligent :
– Cette somme fabuleuse, elle appartient pourtant à Jehan le Brave… au fils de Fausta !
Léonora tressaillit comme si un coup violent l’avait frappée à la nuque. Elle pâlit, ses lèvres se pincèrent, son œil noir, étincelant, se fit brusquement dur, d’une froideur mortelle. Et elle gronda sur un ton menaçant :
– Dix millions à ce truand ?… à ce détrousseur de grands chemins !… Allons donc !… tu es fou, je pense, mon pauvre Saêtta !… Une bonne corde, toute neuve, bien
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