Le Fils de Pardaillan
lumière dans cette sorte de tombe. Le noir compact, à couper au couteau. Un air lourd, une odeur de moisi qui raclait la gorge.
Une porte !…
Il s’attarda longuement à l’étudier : épaisse, trapue, cuirassée de fer, hérissée de gros clous. Pas de serrure. Sans doute les solides verrous qui, extérieurement, la maintenaient hermétiquement close, avaient été jugés suffisants.
Il eut un petit sifflement d’admiration qu’il ponctua par ces mots :
– Ouvrage bien conditionné !
N’importe ! il se colleta avec, du pied, du poing, des épaules. Il s’épuisa, se meurtrit sans réussir à l’ébranler. Il essaya de la violenter avec sa dague. La lame se cassa avec un bruit sec. Dommage ! elle lui avait bien coûté deux bonnes pistoles.
Il l’abandonna… momentanément.
Toute la nuit, il avait été sur pied et les émotions et les aventures ne lui avaient pas manqué. Il était fatigué et il commençait à avoir faim et soif.
Il s’assit sur son manteau. Il était extraordinairement calme et il s’en étonnait lui-même. Il ne se sentait plus le même et il s’en effarait naïvement. Il se disait que vingt-quatre heures plus tôt, il n’aurait pas supporté sa mésaventure avec le même sang-froid. La fureur l’aurait transporté. Il aurait hurlé, martelé la porte à coups furieux, il n’aurait pas tenu en place. Et d’un air rêveur, il murmura :
– En aurais-je été plus avancé ? Non, certes… Mais comme on change, tout de même !… et si vite !…
Il ne se rendait pas compte qu’il subissait l’influence du contact de Pardaillan, son père, avec qui il avait passé presque toute cette nuit. Et il était encore sous le coup de la scène à la fois douce et terrible qu’il avait eue quelques heures plus tôt avec celle qu’il était autorisé à considérer comme sa fiancée.
Doué d’une faculté d’assimilation prodigieuse, il essayait, à son insu, de faire siennes quelques-unes des qualités de son père, qui l’avaient vivement frappé et dont il avait peut-être l’embryon en lui.
Le calme extraordinaire de Pardaillan, cet imperturbable sang-froid, qui ne l’abandonnait jamais, la simplicité de ses manières, la sobriété de ses gestes, la logique serrée de son raisonnement, qui lui permet de n’accomplir que les actes essentiels, par conséquent utiles, voilà ce qui l’a le plus frappé, voilà ce qu’il a le plus admiré. Voilà quelles sont les qualités qu’il a enviées, qu’il a résolu d’adopter et qu’il est en train de s’assimiler, sans s’en rendre compte.
D’autre part, à la suite de l’entretien qu’il avait eu le matin même avec Bertille, il avait eu l’intuition que s’il voulait se montrer digne d’elle, l’ancien homme qu’il avait été jusque-là, devait faire place à un nouvel homme, qui serait à peu près l’opposé de ce qu’avait été l’ancien.
Ce qui n’avait été qu’une intuition s’était précisé davantage, et il en était résulté qu’il avait fait grâce à Concini, ce qu’il n’eût certes pas fait la veille. Maintenant, il comprenait ce qu’il n’avait que senti d’abord. Bientôt il le raisonnerait.
Cette faculté d’assimilation jointe à une inébranlable volonté de changer ses manières et son genre d’existence portaient déjà leur fruit. Il s’en étonnait parce que sa résolution très ferme avait été prise sans qu’il en eût nettement conscience.
Il convient d’ajouter que cette tranquillité d’esprit, qui ressemblait presque à de l’indifférence et qui pouvait à bon droit l’étonner en une circonstance aussi critique, avait une autre cause insoupçonnée de lui. Depuis l’instant où Bertille lui était apparue sur son perron, jusqu’au moment où il l’avait quittée chez le duc d’Andilly, il vivait transporté au-delà de la réalité.
L’amour de Bertille lui était apparu comme une insaisissable chimère, comme un bonheur irréalisable, auquel il n’atteindrait jamais. Et pourtant, la jeune fille avait fait mieux que d’avouer son amour : elle l’avait hautement proclamé. D’elle-même, spontanément, volontairement, elle s’était fiancée à lui.
Un tel bonheur, fabuleux, inouï, pouvait-il être renversé, brisé dès sa naissance de par le geste louche de Concini ? Allons donc ! Cet amour lui apparaissait comme un palladium qui le faisait invincible. Si désespérée que lui parût sa situation, il était clair,
Weitere Kostenlose Bücher