Le Fils de Pardaillan
d’anormal, et certain d’avoir dépisté l’espion, au cas où il en aurait eu un attaché à ses pas, il allongea le pas, en se répétant, pour la millième fois, qu’il fallait qu’il vît la figure que faisait Jehan le Brave.
Ce n’était là qu’un prétexte qu’il se donnait à lui-même.
La vérité est qu’il ne pensait qu’à Bertille. C’est qu’il était déchiré par les affres de la jalousie. La pensée qu’il était repoussé, méprisé, lui, Concini, le gentilhomme le plus élégant qui fût à la cour du roi Henri, pour un misérable aventurier sans sou ni maille, un truand, un
bravo,
cette pensée, en même temps qu’elle le déconcertait, le faisait écumer.
Il était persuadé que Bertille était la maîtresse de Jehan, et cette certitude ne faisait qu’exaspérer son désir. Plus que jamais, il la voulait. Il la lui fallait coûte que coûte.
Mais, où prendre la jeune fille maintenant ? Où le misérable truand l’avait-il cachée ? Savoir, oh ! savoir où la trouver ! La reprendre, et cette fois, il jurait bien qu’elle n’échapperait pas à son étreinte.
Or, puisque Jehan savait où se trouvait la jeune fille, le plus simple était d’aller le lui demander. Naïveté, direz-vous, lecteur ?… Mais Concini était un violent et un passionné. Mais son désir morbide se haussait jusqu’à la passion la plus violente. Et le propre de la passion est de ne pas raisonner.
Donc, sans se l’avouer nettement, ce que Concini venait chercher rue des Rats, c’était d’abord et avant tout, le secret de la retraite de la femme qu’il convoitait. Il ne savait pas trop comment il s’y prendrait pour l’arracher, ce secret, mais par la ruse, par promesses ou menaces, il espérait réussir.
Eh, parbleu ! il offrirait la liberté et la fortune à Jehan ! Il ne serait pas si sot que de refuser, que diable ! Et quand il aurait obtenu ce qu’il voulait, il saurait bien se défaire du
bravo.
Jehan le Brave avait dormi profondément, il ne savait combien d’heures. Quand il se réveilla, pour tuer le temps et tromper son estomac qui commençait à hurler la faim, il revint à la porte et, méthodiquement, patiemment, il essaya encore une fois de la forcer. Il dut s’avouer qu’il n’y avait rien à espérer de ce côté et il y renonça.
Il était toujours aussi calme. La cassette, appartenant à Bertille, lui apparaissait comme un trésor précieux dont il avait la garde. Elle le préoccupait plus que sa propre sécurité. Comme s’il avait craint qu’on ne vînt la lui voler, il la cachait soigneusement sous son manteau.
Il se mit à arpenter le faible espace, autant pour tuer le temps que pour se donner un peu de mouvement, et en marchant il réfléchissait :
– En somme, j’ai dormi combien de temps ?… Mettons dix heures… Hum ! c’est beaucoup. Donc, il n’y a pas encore un jour plein que je suis ici… Joli traquenard que m’a tendu là le Concini, et dans lequel j’ai donné sottement comme un étourneau. C’est bien fait pour moi ! On n’est pas aussi niais que je l’ai été ! Que diable ! quand on a affaire à un Concini, on se défie, ventre de veau !… La leçon ne sera pas perdue… j’ai bonne mémoire. (Et avec un sourire narquois.) A la condition pourtant que je sorte d’ici… ce qui me paraît plutôt problématique… Bon, ne désespérons pas encore. Concini viendra, j’en suis sûr. Seulement, il voudra me laisser déprimer un peu avant. Il viendra demain, peut-être après-demain… Patientons jusque-là.
Et avec une lueur malicieuse dans l’œil :
– Pourvu que je réussisse à l’effrayer suffisamment, et tout ira bien.
Et les heures s’écoulèrent ainsi, lentes, longues, monotones, énervantes. Concini ne paraissait toujours pas. Et maintenant, le calme de Jehan faisait place à l’impatience, et la colère commençait à se déchaîner en lui. Et la faim et la soif se faisaient plus cruellement sentir.
Comme il commençait à se dire, non sans angoisse, que Concini ne viendrait pas, il perçut au plafond comme un léger crissement. Il eut un coup d’œil vers la cassette. Elle était bien cachée sous le manteau, posé dans un angle du cachot. Une flamme joyeuse aux yeux, il regarda le plafond.
Un mince filet de lumière tombait par un petit trou masqué par un grillage. Et, penché sur ce grillage, il devina, plutôt qu’il ne le vit, Concini. Et il rugit dans sa pensée :
– Il est venu !…
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