Le Fils de Pardaillan
évident, fatal, qu’il devait s’en tirer.
Donc, Jehan, assis au milieu de son cachot, ayant gardé tout son sang-froid, se mit à réfléchir :
« Que va faire de moi Concini ?… Va-t-il me dépêcher quelques braves chargés de m’occire à la douce ?… Non, il sait que je suis armé et que je ne suis pas d’humeur à me laisser égorger bénévolement, tel un mouton à l’abattoir. Et puis, je le connais un peu, le Concini, il voudra une vengeance raffinée, terrible… Un coup de dague, peuh ! qu’est-ce que cela ?… Est-ce suffisant pour effacer le soufflet que cette main a appliqué sur sa face de pleutre ?… Non. Il voudra quelque chose de bien tortueux, sombre, hideux. »
Il se mit à rire silencieusement, du bout des lèvres. Il reprit :
« Il est probable qu’il va me laisser crever ici de faim et de soif. Ceci est un genre de mort assez hideux pour le tenter. Mais voilà, j’ai mon épée et ce mignon petit poignard avec lequel elle a tenté de se défendre. Je reste donc maître de mon sort. A la dernière extrémité, je pourrai toujours en finir d’un coup de poignard. »
La mâchoire posée dans la paume de la main, le coude appuyé sur les genoux ramenés contre la poitrine, le sourcil froncé, il demeura un moment l’esprit tendu. Et il traduisit sa pensée par ces mots murmurés :
– Concini voudra jouir de son triomphe… Il ne pourra pas résister au plaisir de venir m’insulter un peu. Ou je le connais bien mal. (Il eut un sourire railleur.) Il viendra j’en jurerais !… Alors, je le tiens ! Il faudra bien qu’il m’ouvre lui-même cette porte.
Il eut un frisson et s’inquiéta.
– Mais si je ne réussis pas à l’effrayer ?… Je suis perdu. Il réfléchit encore un peu et :
– Bah ! il est lâche… il aura peur, c’est certain. L’essentiel est qu’il ne me fasse pas trop attendre. En attendant, je meurs de faim, j’étrangle de soif… mais il ne faut pas songer à satisfaire ces deux besoins… Ce cuistre de Concini n’a pas l’hospitalité très large. Un jour, je l’espère, je lui rendrai la monnaie de ses procédés… délicats. Or çà, puisque je ne peux pas boire et manger… dormons. J’ai toujours entendu dire : « Qui dort dîne. » Pardieu, l’occasion est bonne de voir si le proverbe est vrai. Le lit n’est pas précisément moelleux, mais bah !… il paraît que la paille, cette année, est hors de prix, puisque ce pauvre Concini ne peut même pas m’offrir une botte sur laquelle étendre mes membres fatigués.
Ayant décidé, il s’enroula dans le manteau et s’étendit dans un angle sur les dalles humides. Cinq minutes plus tard, il dormait de ce sommeil robuste qu’on a à vingt ans.
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Chapitre 25
C oncini était rentré chez lui, bien avant Léonora. Il avait pu dormir une heure ou deux, et ce repos, si bref qu’il eût été, avait suffi cependant pour effacer toute trace de fatigue.
Toute la journée, il s’était tenu sur le qui-vive. Il s’attendait à chaque instant à entendre Léonora Galigaï lui dire qu’elle savait tout. Non, sa femme ne lui dit rien. Il l’observa attentivement. Elle paraissait très calme, très naturelle. Evidemment, elle ne savait rien. Il se rassura.
Il pensa à Jehan le Brave et, dans la solitude de son cabinet, il eut un rire féroce, en songeant :
– Je voudrais bien voir quelle figure il fait, ce brave des braves !
Puis il se mit à chercher quel supplice il pourrait bien lui infliger. De temps en temps, il passait la main sur sa joue et courait se regarder dans un miroir. Alors, il grinçait des dents, il écumait et il grondait : – Non, cela ne se voit pas !… Mais je sais, moi, je me souviens, je me souviendrai jusqu’à ce que je sois vengé !
Il pensait au formidable soufflet qui s’était abattu sur sa joue.
A force de penser à son rival, il finit par éprouver l’impérieux besoin de le voir, de se repaître de sa vengeance. La journée passa ainsi.
Le lendemain matin, il décida :
– Tant pis, il faut que je le voie ! Je puis bien me donner cette satisfaction, que diable ! En rentrant du Louvre, j’irai !
Sitôt après dîner, c’est-à-dire vers midi, il prétexta une affaire importante et sortit.
Il se méfiait de sa femme, aussi il n’alla pas directement à la rue des Rats. Il fit un long détour, et de temps en temps, il se retournait brusquement pour voir s’il n’était pas suivi. Il ne remarqua rien
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