Le Fils de Pardaillan
Je suis sauvé !…
Il se raidit, son visage se fit impassible, et les yeux fixés sur le trou grillagé, d’une voix railleuse :
– Hé ! Concini, que fais-tu là-haut ? Pourquoi n’entres-tu pas ici ? (Il se mit à rire.) Ah ! oui, j’ai mon épée ! Cela t’inspire crainte et respect. Tu es prudent, Concini, on le sait du reste. Tu n’es brave que lorsque tu t’attaques à une femme faible et sans défense. Encore faut-il que tu sois rassuré par la présence de nombreux serviteurs et que tu sentes l’appui de quelques braves à ta solde.
Concini se taisait. Peut-être n’avait-il pas entendu. Il cherchait comment il poserait cette question très simple : « Où as-tu conduit la jeune fille ? »
Jehan reprit, et sa voix se fit plus mordante, son expression plus dédaigneuse :
– Que ne m’as-tu informé de ton désir de me visiter ? Je t’aurais donné ma parole de ne pas me servir de cette épée, qui t’inspire une si salutaire frayeur. Est-ce qu’il est besoin d’une épée, avec un baladin de ta sorte ? Le poing et la botte suffisent.
Cette fois, Concini entendit. A cette allusion à la correction que Jehan lui avait infligée, il écuma :
– Chien enragé !… Misérable pourceau ! Je veux…
– Eh là ! Concini, interrompit Jehan dans un éclat de rire sarcastique, ne donne donc pas tes noms aux autres !… La peur te trouble la raison. Cà, qu’es-tu venu faire ici ?… As-tu espéré me trouver pâle et tremblant ? Es-tu venu te repaître de ton œuvre ?… Parle ! N’aie pas peur… tu sais bien que je ne peux pas t’atteindre là où tu es.
Ces paroles ramenèrent Concini à l’objet de sa visite. Il refoula la rage qui l’étranglait et raffermissant sa voix :
– Ecoute, dit-il, tu vas crever ici… de faim et de soif.
De sa voix railleuse, en frappant du poing sur le pommeau de son épée, Jehan dit :
– Si je veux.
Concini eut un sourire livide :
– Je te comprends. Mais, moi, je lance une petite boule à tes pieds. Elle éclate sans bruit. Ce n’est rien… Mais tu tombes profondément endormi. Alors, on te désarme… Et tu es obligé de mourir de la mort que je t’ai choisie.
Il prit un temps et, en se délectant, il reprit d’une voix doucereuse :
– C’est une mort horrible que la mort par la faim et la soif !… C’est un supplice effroyable. Et quelle agonie !… Une agonie lente, interminable, atroce, qui dure des jours et des jours… quelquefois des semaines. Ainsi, toi qui es jeune et vigoureux, Dieu merci ! tu peux en avoir pour vingt jours, un mois, davantage peut-être !… Pense un peu à ce que tu souffriras. On devient fou enragé… on prétend qu’il y en a qui se sont dévoré eux-mêmes une partie des bras !… C’est épouvantable !… Voilà ce qui t’attend, Jehan le Brave. Mais je suis bon garçon, sois tranquille, je ne t’abandonnerai pas… Je viendrai te voir, de temps en temps… me rendre compte, constater à quel degré tu en es… Qu’en dis-tu ?… Crois-tu que ton soufflet et ton coup de pied seront bien payés ?…
Il s’était animé. Il écumait, il grinçait. Jehan, qui ne le voyait que confusément, eut l’impression qu’il devait être hideux en ce moment. Mais il avait son idée de derrière la tête, comme Concini avait la sienne, et tant qu’il ne l’aurait pas mise à exécution, il n’y avait pas lieu de désespérer. Et il se raidit.
Concini, voyant qu’il se taisait, crut l’avoir terrifié. Il se dit que le moment était venu de risquer la question qui lui tenait tant à cœur et il se hâta de reprendre, d’une voix que l’espoir rendait haletante :
– Eh bien, écoute, Jehan. Si tu veux, tu sors d’ici libre. Si tu veux, je descends moi-même t’ouvrir cette porte et je te conduis dehors. Et je te fais riche… Je te donne cinquante mille livres !… La liberté et la fortune, voilà ce que je t’offre… si tu consens à répondre à la question que je veux te poser.
– Oui, je t’ouvre la porte, oui, je te conduis dehors, oui, je te donne de l’or. Et quand tu auras répondu… un bon coup de dague entre les deux épaules… par-dessus le marché et pour te faire bonne mesure.
La proposition cependant était si imprévue qu’elle stupéfia Jehan. Il songea :
– Que peut-il avoir à me demander de si important pour qu’il renonce à sa vengeance ?
Et tout haut, de son air railleur :
– Quand j’aurai répondu à ta
Weitere Kostenlose Bücher