Le Fils de Pardaillan
la maison déserte. Donc, tu pourras opérer sans hâte et en toute tranquillité d’esprit. N’oublie pas – ceci est une précaution nécessaire pour ma sécurité – n’oublie pas de remettre toutes choses en état, c’est-à-dire refermer toutes les portes que tu auras ouvertes, pousser les verrous, pendre la clé à sa place. Il est nécessaire que Concini croie à la trahison d’un domestique. Comprends-tu ?
– Parfaitement, signora, et vous pouvez compter sur moi. Je suivrai toutes vos recommandations à la lettre.
– Voici la clé de la maison. Ne va pas, par trop de hâte, compromettre le succès de ton entreprise. Tu as le temps. La maison sera déserte jusqu’à demain. Encore faut-il que tu laisses aux serviteurs le temps de se retirer. Ce que j’en dis, moi, c’est pour toi. Tu comprends que, personnellement, il m’est indifférent que Jehan meure là où il est ou sur un échafaud comme tu le désires.
– Je comprends, signora, et je saurai patienter le temps nécessaire.
– Va, Saêtta, va ! dit Léonora avec la même douceur.
Saêtta alla se poster sur le Pont-Neuf, pensant avec raison que Concini passerait par là. Perdu dans la foule, il allait bayant aux corneilles, comme un bon badaud. En réalité, il avait l’œil au guet et dévisageait chaque passant. De temps en temps, il exhalait sa mauvaise humeur par des réflexions peu amènes à l’adresse de Concini, qui s’était avisé de contrarier sa vengeance.
Enfin, vers quatre heures, il vit passer celui qu’il guettait patiemment. Son premier mouvement fut de se précipiter vers la rive gauche. Mais c’était un garçon honnête, à sa manière. Il n’avait aucun motif de suspecter la bonne foi de Léonora. Il croyait qu’elle avait voulu lui être agréable, et il lui était sincèrement très reconnaissant de ce qu’elle venait de faire pour lui. En conséquence, il réfléchit :
– Minute. N’allons pas, par trop de précipitation, compromettre la signora. J’ai le temps, puisque la maison restera déserte toute la nuit. Et quant à Jehan, une heure ou deux de plus ne sont pas pour l’incommoder outre mesure. Attendons jusqu’à six heures.
En conséquence de cette décision, et pour échapper à la tentation, il revint sur ses pas et alla s’attabler devant une bouteille de vieux vin, dans un cabaret avoisinant l’église Saint-Germain-l’Auxerrois.
A six heures, la bouteille se trouva vide. Il se leva et partit. Il poussa même la conscience jusqu’à ne pas allonger le pas, malgré qu’il sentît l’impatience le gagner de plus en plus.
Ce ne fut pas sans une certaine angoisse qu’il introduisit la clé dans la serrure. Non qu’il eût peur. Nous savons qu’il était brave. Non qu’il craignît d’échouer dans sa tentative. Il était résolu à exterminer tout ce qui tenterait de s’opposer à l’évasion de Jehan.
Mais tout simplement parce qu’il avait foi en la loyauté de Léonora.
Il comprenait fort bien qu’elle n’avait nullement exagéré en disant qu’elle risquait sa vie en trahissant son époux pour lui, Saêtta. Il était fermement résolu à arracher Jehan aux griffes de Concini. Cependant, pour rien au monde, il n’eût voulu compromettre celle qui s’était faite spontanément son alliée dans cette affaire. Il avait son point d’honneur à lui, si extraordinaire que cela puisse paraître. Et c’est pourquoi il tremblait en introduisant la clé dans la serrure.
Il fut tout de suite rassuré d’ailleurs. La maison paraissait vide d’habitants. Il s’en fut tout droit à la cave. La clé était sur la porte. Il n’eut qu’à pousser. Derrière, pendue à un clou, il vit la clé du caveau. Léonora avait dit rigoureusement vrai, elle tenait parole. Du reste, il n’en avait pas douté un seul instant.
Sûr de son affaire maintenant, il agissait sans hâte, posément, méthodiquement. Il s’en fut dans la cuisine, y prit une lanterne et l’alluma. Sa lanterne à la main, il descendit l’escalier de pierre en spirale.
Il trouva à main gauche la porte signalée et l’ouvrit. Il se trouva dans un étroit couloir. Quatre portes massives, munies de doubles verrous énormes, donnaient sur ce couloir. Il eut un sourire de satisfaction et grommela :
– Je suis content de l’aventure. Il commençait à se défier de moi, ce brave Jehan. J’espère qu’après celle-là, il ne pourra plus douter de mon amitié paternelle !
Il ouvrit la première
Weitere Kostenlose Bücher