Le Fils de Pardaillan
Pardaillan dans la maison ?
– Sans doute, fit la soubrette. C’est lui qui a conduit madame ici.
– Ainsi, le comte de Margency ?…
– C’est M. de Pardaillan, fit la soubrette en souriant. C’est une idée à lui. Il préfère ce nom-là à l’autre, paraît-il.
Bertille remercia et congédia la soubrette d’un sourire.
– Ainsi, fit-elle avec agitation, c’est ce brave gentilhomme qui vous envoie ? Et vous dites qu’il est blessé ? Grièvement peut-être ?… Dites-moi vite. Renseignez-moi.
Mais c’était au tour de la vieille de se montrer méfiante et circonspecte :
– Voire ! fit-elle. Je dois, avant, m’assurer que vous êtes bien la personne que ce brave gentilhomme cherche. Il paraît qu’il n’en est pas sûr. Je dois donc vous poser deux questions… Excusez-moi, ma belle dame, j’agis comme on m’a recommandé de faire.
– Voyons les deux questions, consentit Bertille.
– Etes-vous bien la fille d’une dame qui fut fiancé autrefois à un comte de… Ah ! maudite mémoire qui s’en va !… le comte de Vau… Vau… Vaubrun ! J’y suis !
– C’est moi-même, fit Bertille sans hésiter.
– N’avez-vous point certains papiers qui concernent ce chevalier de Pardaillan et son fils ?
– Quels papiers ? fit Bertille de nouveau sur la réserve.
– Ah ! dame, je ne sais pas, moi. On ne me l’a point dit. On m’a dit : « Des papiers qui me concernent, moi et mon fils. » Je répète…
– En effet, j’ai des papiers qui intéressent M. de Pardaillan et son fils.
– Alors, fit la vieille avec satisfaction, vous êtes bien celle que je cherche et je vais vous dire ce qu’il en est. Je vous répète, à ma manière, ce que ce digne gentilhomme m’a chargée de vous répéter. Donc, il paraît que ce gentilhomme était un ami de ce comte qui fut fiancé de votre mère. C’est bien. Ce digne gentilhomme s’était promis de vous interroger au sujet de ces papiers. Mais voilà que, il n’y a guère plus d’une heure, il fait une chute de cheval et se fracture le crâne ! C’est bien. Non, je veux dire : c’est un malheur !
Il convient de faire remarquer que Bertille n’avait plus aucun motif de suspecter la messagère. Tout ce qu’on lui disait concordait trop bien avec la réalité pour qu’elle pût avoir un soupçon.
Il est à présumer qu’elle avait eu en mains d’autres papiers qu’elle avait détruits et qui lui donnaient des instructions qu’elle seule connaissait. Toujours est-il que, n’ayant parlé à âme qui vive de ses papiers, elle avait tout lieu de croire que nul ne connaissait leur existence. Hormis peut-être celui à qui ils étaient destinés. Et ceci n’était qu’une supposition.
Brusquement, elle apprenait que sa supposition était juste. Ce n’était pas fait pour la surprendre. Pourquoi, puisqu’il savait, le chevalier ne s’était-il pas présenté plus tôt ? La réponse était toute faite : parce qu’elle avait caché son nom de famille. Dès qu’elle révélait son nom, le chevalier s’empressait de se faire connaître. Ceci lui paraissait très naturel et lui donnait à supposer qu’elle avait été recherchée.
Aussi se reprochait-elle maintenant d’avoir gardé si longtemps l’incognito. Elle aurait dû faire chercher elle-même le sire de Pardaillan. Mais, puisque jeune fille inexpérimentée, orpheline et sans appui, elle n’avait pu procéder à des recherches, du moins aurait-elle dû ne pas entraver celles du chevalier en cachant son nom. Car elle ne doutait pas que Pardaillan l’eût cherchée.
Ce que Bertille avait résolu de faire pour un inconnu, elle devait le faire à plus forte raison, avec plus d’empressement et de joie, sachant que cet inconnu et le comte de Margency n’étaient qu’une seule et même personne.
Elle était de ces natures généreuses à l’excès qui s’exagèrent les services qu’on leur rend et diminuent à plaisir ceux qu’elles rendent. Pardaillan, lui aussi, était de ces natures-là. Quoi qu’il en soit, elle avait été profondément touchée par la simplicité et la bonne grâce avec lesquelles le comte de Margency lui avait rendu service.
Il n’avait pas rendu service qu’à elle. Elle voyait encore sa mine hautaine, lorsqu’il refusait d’obéir au roi qui lui ordonnait d’arrêter celui qu’elle aimait. Elle le voyait étincelant d’audace et de bravoure, risquant avec insouciance sa vie pour défendre la
Weitere Kostenlose Bücher