Le Fils de Pardaillan
vieille femme s’était présentée à la maison des Taureaux et avait demandé à parler à la demoiselle de Saugis.
Le majordome, à qui elle s’adressait, avait répondu qu’il ne connaissait pas la demoiselle dont on lui parlait et, un peu brusquement, il avait voulu éconduire la vieille, tenace.
La fatalité avait voulu que Bertille, de sa chambre, entendît ce nom de Saugis que la vieille criait à tue-tête comme si elle avait escompté ce qui allait se produire. Son nom de Saugis – elle le croyait, du moins – n’était connu que de cinq personnes : le roi, Jehan, Pardaillan (qu’elle ne connaissait encore que sous le nom de comte de Margency), enfin le duc et la duchesse d’Andilly.
Or, de ces cinq personnes, pas une, à l’heure actuelle, ne se trouvait à l’hôtel. Bertille pensa, forcément, que la vieille femme lui était envoyée par une de ces cinq personnes. Le roi la croyait sans doute encore à son logis de la rue de l’Arbre-Sec. Ce n’était évidemment pas lui qui envoyait. D’ailleurs, le roi eût envoyé un gentilhomme, un de ses officiers. Ce n’étaient pas non plus le duc et la duchesse, partis la veille à Andilly, et qui devaient rentrer le lendemain. Donc, ce ne pouvait être que Jehan ou le comte de Margency.
Naturellement, elle pensa de préférence que la messagère lui était envoyée par Jehan. Et aussitôt une inquiétude se leva en elle. Précisément, la vieille, dans la pièce à côté, s’écriait sur un ton revêche, mais avec une conviction impressionnante :
– Si vous ne me laissez pas approcher la noble dame, il arrivera un grand malheur dont vous serez responsable.
Et, sur un ton larmoyant, elle ajoutait :
– Mon bon monsieur, regardez-moi. Dites, que pouvez-vous redouter d’une pauvre vieille comme moi, déjà courbée sur la tombe ?
Ces paroles redoublèrent l’inquiétude de Bertille. Elle n’hésita pas. Elle ouvrit la porte de sa chambre et fit entrer la vieille femme. Le majordome avait fait son devoir. Il n’était plus responsable du reste. D’ailleurs, la vieille avait dit vrai : aucune violence n’était à redouter de la part d’une femme courbée, cassée, ne se tenant debout qu’à l’aide du bâton sur lequel elle s’appuyait des deux mains. Il se retira donc discrètement, sans inquiétude. Après tout, ainsi qu’il devait le faire remarquer plus tard, on ne lui avait pas dit de traiter la jeune fille en prisonnière.
La vieille entra donc dans la chambre de Bertille qui la détailla d’un coup d’œil rapide. C’était une très vieille femme, toute petite, très grosse, portant un costume de paysanne, usé, rapiécé, mais d’une propreté méticuleuse. Physionomie bonasse, souriante, plutôt engageante. Une personne plus expérimentée que la jeune fille eût peut-être démêlé sous les sourcils de la vieille une expression astucieuse qui l’eût mise en garde.
Mais Bertille ne s’arrêta qu’aux dehors qui n’avaient rien d’inquiétant.
– Qui vous envoie, brave femme ? demanda-t-elle vivement.
– Un gentilhomme à qui il vient d’arriver un accident qui met ses jours en danger, répondit la vieille.
– Jehan le Brave ?… s’écria Bertille angoissée et soudain très pâle.
– On ne m’a point dit ce nom-là, fit la vieille en secouant la tête. On m’a dit le chevalier de Par… de Par… devant… d’avant… daillan… Pardaillan, c’est cela.
Bertille tressaillit. Rassurée sur le sort de Jehan, ce nom de Pardaillan, auquel elle était bien loin de s’attendre, prononcé brusquement devant elle, l’intriguait au plus haut point.
– C’est M. de Pardaillan qui vous envoie ? fit-elle très étonnée. Mais je ne le connais pas.
– Oh ! que si ! fit la vieille avec assurance. C’est le même gentilhomme qui vous a conduite ici la nuit dernière. Il me l’a dit, du moins.
– Mais, s’écria Bertille stupéfaite, ce n’est pas M. de Pardaillan qui m’a conduite ici ! C’est le comte de Margency.
– C’est cela même, s’écria joyeusement la vieille en tapotant le parquet du bout de sa canne. Ce chevalier de Pardaillan est comte de Margency. Il me l’a dit. Mais, voyez-vous, ma belle dame, ma mémoire se perd au milieu de tous ces noms.
Un vague soupçon effleura la jeune fille. Elle frappa vivement sur un timbre. Une accorte soubrette parut :
– Dites-moi, demanda Bertille négligemment, est-ce que vous connaissez M. le chevalier de
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