Le Fils de Pardaillan
Porcherons et l’îlot qui lui faisait face. Il avait dépassé les masures qui bordaient la grande route et le petit chemin. Il n’avait rien vu, rien remarqué. Et d’ailleurs, il ne se méfiait pas. Il entendit derrière lui une galopade frénétique et des voix rauques crier :
– Sus ! sus !…
Il se retourna, le sourcil froncé. Dans le même instant, il eut la rapière au poing, prêt à recevoir les douze estafiers qui grimpaient la côte en soufflant bruyamment. Et il reconnut Concini qui, derrière ses hommes, criait, ivre de joie :
– Vivant ! sang du Christ ! Il me le faut vivant !
– Eh ! c’est l’illustre signor Concini ! railla Jehan. Depuis que ma main s’est appesantie sur ta face de couard, il faut toujours que tu te caches derrière quelque chose ou quelqu’un.
– Sus ! sus ! hurlèrent les estafiers en couvrant sa voix de leurs clameurs !
– A vous ! monsieur l’insolent qui bousculez les gens sans vous excuser ! crièrent les gentilshommes.
– Doucement, mes agneaux, tonna Jehan, je vais vous bousculer avec ceci !… Et ceci pique et taille, je vous en avertis.
Et sa rapière se mit à décrire ce fulgurant moulinet qui lui était familier. Eynaus, Longval, Roquetaille et Saint-Julien attaquèrent de face.
Les huit autres s’éparpillèrent à droite et à gauche, cherchant à l’envelopper pour le saisir, excités par Concini qui ne cessait de crier :
– Prenez-le vivant ! N’oubliez pas !…
Un cri sourd… une imprécation… un hurlement… une malédiction… C’étaient quatre hommes mis hors de combat par le terrible moulinet. Les coupe-jarrets, stupéfaits, s’arrêtèrent hésitants.
– A qui le tour ? claironna Jehan. Je vous avais avertis : cela pique et taille.
– Tue ! tue ! crièrent les assassins exaspérés par cette résistance imprévue.
– Hardi ! Foncez ! Sus à la bête ! rugit Concini pâle de rage. Les huit qui restaient revinrent à la charge. Mais ils ne pensaient plus à le prendre vivant. Concini lui-même oubliait de le leur rappeler.
Il y eut un choc effrayant. La rapière, l’infernale rapière qui barrait la route à elle seule, la rapière tournoya, siffla, piqua, voltigea, frappa de pointe et de taille. Trois hommes tombèrent. Parmi ceux-là, Saint-Julien, frappé d’un coup de taille en plein visage.
– Tu ne sais même pas choisir tes assassins, cria Jehan à Concini écumant qui s’arrachait les cheveux. Encore un !… A qui le tour ?… A qui ?…
C’était vrai. Cette chose prodigieuse avait été réalisée en un rien de temps : huit corps, morts ou grièvement atteints, gisaient sur la route blanche.
Les quatre survivants s’arrêtèrent effarés. Si ces quatre-là avaient été les coupe-jarrets qui mordaient la poussière au lieu des gentilshommes, nul doute qu’ils n’eussent pris la fuite à l’instant. Le seul qui restait encadré par Roquetaille, Eynaus et Longval, demeura ferme.
– Ca pique ! ça taille ! cria encore Jehan en éclatant de rire. Approchez mes agneaux ! Non ?… Alors, je vais vous charger.
Et il allait charger en effet.
A ce moment, derrière lui, retentirent des hurlements :
– Tue ! tue ! suivis d’une dégringolade furieuse.
– A nous ! hurla Concini. Tue ! tue ! pas de quartier ! Cernez la bête !
Et il se rua lui-même le fer au poing, à la rescousse de ses hommes qui, électrisés par le secours qui leur arrivait, chargèrent avec impétuosité.
Jehan avait arrêté son élan. Il tourna la tête au lieu de charger comme il avait dit. Une troupe d’une dizaine d’estafiers débouchait en hurlant du carrefour de la Croix. Dans un instant, elle serait sur lui. Il était pris entre deux feux.
« Je ne peux pourtant pas mourir avant de l’avoir sauvée ! » criait-il dans son esprit.
Après avoir regardé derrière, il jeta un coup d’œil autour de lui. Il avait dépassé les masures. A sa droite, c’étaient des terrains vagues.
Fuir par là ? La pensée ne l’effleura même pas. A sa gauche : un mur, haut, solide… un renfoncement… c’était une porte. Le salut était peut-être là. En tout cas, il aurait ses adversaires en face ; on ne pourrait pas le frapper par derrière.
Mais il fallait y arriver avant que la bande hurlante, là, derrière, ne fût sur lui.
Il fit un bond prodigieux.
– Il en tient ! il en tient ! triompha une voix.
C’était encore vrai… L’instant
Weitere Kostenlose Bücher